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Journal de René ANTONI

3 août 2021

Journal du Brigadier René ANTONI du Peloton

12 RCA

 

 

 

 

                        Journal

 

                    du Brigadier René ANTONI

 

du Peloton Mortiers du 12ème R.C.A.

 

 

Je remercie vivement Monsieur Hervé ANTONI et sa famille pour nous avoir permis de publier sur ce blog, le Journal de Monsieur René ANTONI. Il permet de mieux comprendre, au jour le jour, la vie des Chasseurs de ce Peloton Mortiers. Il est à comparer avec l’historique du Régiment à consulter sur ce même blog  :            http://12rcahistorique.canalblog.com/   

La transcription des pages de ce journal a été réalisée en commun avec Monsieur Hervé ANTONI.

Claude AUBOIN

 

René ANTONI

René ANTONI

 

couverture

Cahier contenant le Journal de René ANTONI

Collection Hervé ANTONI

 

La formation du Peloton Mortiers du 12ème Régiment de Chasseurs d'Afrique remonte à début février 1944, alors que le Régiment se trouvait en bivouac en forêt de Temara au Maroc. Le Sous-lieutenant Jean BAILLOUD de MASCLARY en fut chargé. Dès lors, il en assuma le commandement et l'instruction qui était complète et rigoureuse. Le 25 février 1944, René ANTONI fut désigné comme conducteur d'un des quatre Half-tracks de ce Peloton qu'il va chercher à Meknès (Maroc). Le 19 mai 1944, le Peloton et son matériel, après avoir traversé la ville d'Oran, embarquèrent au port de Mers-El-Kebir. Son journal décrit la suite... 

René ANTONI 1 bis

Le Chasseur d'Afrique René ANTONI

Collection Hervé ANTONI

Samedi 20 mai 1944 : Nous avons mangé à 9 heures, puis toute la journée, nous avons assisté à l’embarquement des dernières troupes. J’ai fait une sieste terrible jusqu’à 5 heures. A 6 heures ½, nous avons mangé. Le repas était tout simplement formidable. A 8 heures, le bateau a quitté le quai, tiré par 2 remorqueurs. Juché sur le toit d’une cabine très haut placée, j’ai assisté à toute la manœuvre du départ. Le bateau en a rejoint un autre dans la grande rade d’Oran. Puis il a stoppé.

Passagierschiff-Capetown-Castle

Toute la côte s’étendait distinctement devant nous. J’ai pu admirer longuement Oran. Le bateau grouille littéralement de soldats. Les ordres sont donnés par T.S.F. et il y a des hauts parleurs partout. A partir de 9 heures 30. Il est défendu de rester sur les ponts. Nous ne devons plus nous séparer de la ceinture de sauvetage.

Dimanche 21 mai 1944 : A 6 heures et demi, réveil. Un doux balancement nous indique que le bateau marche. Nous nous baladons jusqu’à 11 heures, heure du repas. Les deux bateaux en ont rejoint une vingtaine d’autres. Et maintenant, c’est un gros convoi escorté de nombreux torpilleurs qui s’avancent sur les eaux.

Presque tous les bateaux sont des gros transatlantiques. Après déjeuner, nous avons eu un exercice d’alerte. Après un fouillis indescriptible, chacun a pu retrouver sa place. A 2 heures, j’ai assisté à la messe, puis j’ai fait la sieste.

En me réveillant, j’entends une rumeur : « on voit les côtes d’Espagne ».  Nous montons sur le pont. En effet, nous voyons très bien les montagnes de la cordillère espagnole.

Lundi 22 mai 1944 : Nous avons passé le détroit de Gibraltar durant la nuit, au réveil, nous sommes sur l’océan. La mer est d’huile. Nous avons un exercice d’alerte à 12 heures, mais je n’y vais pas car j’ai une salle de bain à nettoyer tous les jours. Je suis de garde. La relève a eu lieu à 11 heures. Nous sommes 80 en tout, car il en faut à presque toutes les portes. Je l’ai prise de 3 heures à 5 heures, tout à fait à l’avant, sur le 1er pont, à côté de la cuisine de l’équipage.

Durant la journée, les bateaux ont fait différentes manœuvres en marche normale, on dirait de magnifiques coursiers fendant l’eau, comme pour atteindre une première place.

J’ai repris la garde de 9 heures à 11 heures du soir. J’ai fauché tout ce que j’ai pu dans la cuisine, des macarons anglais, gâteaux etc… Après la garde, on a eu du chocolat, puis on a tous couché sur le parquet de la salle de service.

Mardi 23 mai 1944 : J’ai repris la garde de 3 heures à 5 heures du matin. Il faisait noir comme dans un four et très froid. J’ai dormi dans un coin de 3 heures ½ à 5 heures 10. On a tous mangé à 8 heures, puis j’ai repris la garde de 9 heures à 11 heures. Puis j’ai dormi jusqu’à l’exercice d’alerte, pendant lequel j’ai nettoyé les lavabos.

Puis nous avons eu visite de dépistage. Nous avons eu ensuite distribution d’articles divers et de friandises, en payant naturellement. on nous a distribué des lampes de sauvetage. Ce sont des petites lampes rouges reliées à 2 piles et que l’on fixe sur la bouée de sauvetage.

Mercredi 24 mai 1944 : Cet après-midi, j’ai pris une douche et j’ai lavé un peu de linge. Au souper, j’ai mangé comme quatre. Il a même fallu que j’abandonne. Après une belote, je me suis endormi en riant, car tout le monde racontait des histoires, puis après une bagarre pour éteindre la lumière.

Jeudi 25 mai 1944 : Je me suis levé à 8 heures. Après être lavé, nous avons discuté sur le pont en fumant. A 10 heures, nous sommes descendus manger en faisant la queue comme d’habitude. La queue commence à 8 heures le matin pour se terminer à 11 heures ½, puis l’après-midi de 3 heures à 6 heures ½.

Des chefs de tables de tous types nettoient au fur et à mesure que l’on finit de manger. Comme il y a une infinité de tables, cela va assez vite. Après l’exercice d’alerte habituel, j’ai dormi jusqu’à 5 heures et demi, puis nous avons monté et nous sommes sortis sur le pont. Toute la journée, la mer a été agitée et le bateau a remué. Mais ce soir, ça a empiré, le bateau remue sérieusement. Il faut se tenir aux rampes pour circuler. Je passe sur les nombreuses flaques que l’on rencontre un peu partout.

Durant une heure, nous sommes restés couchés sur les bords, tout à fait à l’avant, pour admirer de près les plongeons de l’étrave. Tantôt le bateau descendait jusqu’à l’ancre, tantôt il montait jusqu’à ce que l’on voit l’arrondi de la quille. C’était très intéressant de regarder les différents bateaux. C’était à celui qui plongeait le mieux, deux surtout tanguaient à faire peur, le nez, puis l’arrière disparaissaient tour à tour dans l’eau. Nous rions comme des fous de nos diverses sensations. C’est en beaucoup plus fort, l’effet d’un ascenseur.

Vendredi 26 mai 1944 : Je me suis levé 2 ou 3 fois à 5 heures du matin, dérangé par des coliques.  Journée normale. Le bateau remue, mais moins qu’hier soir. Il parait que nous passons au large de la Bretagne.

Samedi 27 mai 1944 : Au réveil, surprise. Tout est éteint. Il y a une panne de lumière dans la chambrée, ça gueule à qui mieux mieux, car nous sommes 215 en A.b.. La lumière n’est revenue qu’à 10 heures ¼. Aussi nous sommes restés au lit jusqu’à la soupe qui est à 10 heures pour notre chambrée.

Après l’exercice d’alerte habituel, nous avons eu visite de dépistage. Une lampe à la main, le toubib nous examinait alignés devant nos lits et entièrement nus. Après, une belote terrible, nous sommes allés à la soupe, puis au dodo.

Dimanche 28 mai 1944 :  Journée normale. Je suis allé à la messe où j’ai communié. J’ai joué aux cartes presque tous le temps. Vers le soir, nous avons distingué une côte sur la droite.

Lundi 29 mai 1944 : Je me suis levé bravement à 10 heures pour aller manger. Nous voyons la terre des 2 côtés. Les bateaux marchent en colonnes par trois. D’après mes calculs, nous avons contourné l’Irlande et nous descendons par le canal du roi Georges. Vers 3 heures, j’ai lavé du linge. Tout le monde est aux bastingages, car on voit des côtes et on rencontre d’autres navires, et même des sous-marins.

La T.S.F. nous a annoncé que nous étions dans des eaux sûres. Après la soupe, nous nous sommes portés sur le pont avec un mousse anglais. Rassemblant toutes mes petites connaissances d’anglais, j’ai réussi à discuter assez potablement avec lui. Les Anglais sont très fiers de leur art et mettent leur pays au-dessus des autres, du moins, c’est l’impression que j’ai eu avec ce jeune fanfaron. 

Mardi 30 mai 1944 : Je me réveille à 8 heures. Il parait que nous arrivons. Je m’habille et je file me laver en passant par les ponts. En effet, nous marchons très longtemps, remontant l’embouchure d’un fleuve. On voit indistinctement, à cause du brouillard, une grande ville industrielle avec beaucoup de fumée et de maisons mortes.

En montant du lavabo, je vois tout le monde au garde-à-vous. C’est un orchestre qui joue « la Marseillaise » sur le quai, puis d’autres morceaux où reviennent fréquemment des swings, chose qui m’ahurit. Tous les bastingages sont pris d’assaut. Nous accostons. On distingue la prairie, une grande place et les fameux trams à étages. Je vois aussi les fameux flics tout noirs avec le casque.

Toute la journée, nous sommes restés sur le pont, regardant le trafic très intense du fleuve. Des petits bateaux, très larges, servent de passeurs, transportent les gens et les autos de l’autre côté du fleuve. Durant toute la journée, chaque fois que l’un deux passait près d’un bateau, c’était des cris et des signes à tout casser, tant de la part des civils que de notre part, surtout à l’heure de la sortie des classes où les rues étaient bondées de jeunes filles.

Nous débarquons demain très tôt pour prendre le train. Je me suis promené sur le pont jusqu’à 2 heures du matin. N’ayant pas sommeil, je rêvassais, admirant les nombreux docks illuminés de Liverpool.

Mercredi 31 mai 1944 : Réveil à 6 heures. Nous avons fait nos sacs, puis tout le Régiment s’est rassemblé sur le pont. Après l’appel, nous avons mangé pour la dernière fois sur le bateau. Puis après l’inspection de notre Commandant, nous avons débarqué. Je passe sur les 2 kms de ponts, passerelles et quais que l’on a fait avec le sac de 30 kg sur l’épaule.

Puis, c’était la gare. Nous avons jeté nos sacs dans les fourgons et nous sommes montés dans des wagons de 3ème qui valent presque les 1ère d’Algérie. Les Anglais nous ont servi un café au lait chaud et des gâteaux, puis le train a démarré.

Tous les civils nous faisaient des signes. L’Angleterre est très jolie, partout de la verdure et des rivières, ou alors de grandes villes anciennes avec des confettis de petites maisons toutes pareilles.

Nous passons Manchester, Doncaster, York, en mangeant des conserves françaises et en jouant aux cartes. A 2 heures, nous arrivons. Le patelin s’appelle Fimber. Le cantonnement est tout près, le village à 4 Km. Nous faisons 300 mètres à pied, c’est le camp.

Nous rejoignons mon Peloton. Pendant un quart d’heure, ça gueule de tous les côtés. Tous les copains sont venus à ma rencontre et c’est une série de questions.

Le camp est adossé à une grande colline, c’est un champ de courses, partout des pelouses, des arbres de l’herbe. Les guitounes sont rondes et assez grandes, nous entrons juste les 6 dans la notre. Les très grandes sont pour les réfectoires, infirmerie, etc… Il apparait nettement que la propreté règne en maîtresse dans ce pays. Pas un papier dans le camp. Les WC très propres. D’après le foyer, je crois que l’on mange très bien.

Après le souper, nous avons joué au volley jusqu’à l’appel. Ici, il y a des stades partout. J’ai passé une nuit délicieuse. Nous avons des paillasses de paille. Ce matin, l’homme de jus nous réveille à 8 heures et demi. Chocolat et casse-croute avec saucisson et fromage. Une demie heure après, nous sommes allés aux douches chaudes. En ce moment, il pleut.

Nous rigolons sous la guitoune bien fermée. Une chose manque en Angleterre et qui va tuer tous les Africains.On ne voit jamais le soleil, toujours du brouillard. Hier, je suis allé voir les véhicules, ils sont tous alignés par catégories et nickel. Le moteur de ma chère voiture a tourné au 1er coup de démarreur. Tout est pour le mieux. Il parait que les femmes se disputent les Français.

Jeudi 1er juin 1944 : Nous sommes allés au lavabo à 10 heures. Le matin, nous avons du chocolat au lait et un casse-croute. Nous n’avons rien fait de la journée. Après la soupe, on a joué au Volley très tard dans la soirée.

Vendredi 2 juin 1944 : Avec les voitures, nous avons passé un pont fait de deux passerelles. La première fois, je suis passé très bien, et seul la deuxième fois, le chef de voiture a dû me guider deux fois. L’après-midi, nous sommes sortis avec les voitures essayer un nouveau système de visée. On plante deux piquets et le conducteur à l’aide de deux viseurs fixés sur le capot, aligne son véhicule tout seul. Je n’ai pas mis trop de temps à aligner le mien.

Puis nous sommes revenus en descendant une côte qui faisait peur. Nous avons eu ensuite un cours sur les galons anglais. A 5 heures, le Lieutenant qui parle anglais a fait un cours de cette langue pour tous les volontaires du Peloton. Nous y étions presque tous. Après souper, sport.

Samedi 3 juin 1944 : Jusqu’à 9 heures, nous avons eu revue du matériel Z. Repas, puis à 10 heures, les 3 conducteurs, nous sommes allés faire les pleins, nous avons été un peu ennuyés, car les bidons anglais sont moins commodes que les américains.

De 1 heure 30 à 3 heures, lavage du linge. J’ai pris un coup. De 3 à 4, l’équipe du Peloton, pour la 1ère fois constituée, a perdu brillamment une longue partie en 3 manches. A 4 heures, douche glacée. Beaucoup se sont abstenus bravement. Ensuite je suis passé au coiffeur, car je vais peut-être aller en perm demain.

Après souper, au volley, je me suis sérieusement foulé un pouce, aussi j’ai quitté le terrain assez piteusement. Nous avons touché de la NAAFI en pagaille.

Dimanche 4 juin 1944 : Je suis allé en perm où j’ai mangé au réfectoire des Polonais à midi. Je suis revenu à 10 heures ½.

Lundi 5 juin 1944 : Il pleut un peu comme d’habitude, mais à cause du terrain détrempé, la conduite a été très difficile, car les voitures dérapaient et glissaient à qui mieux mieux. J’ai failli verser une fois. La première voiture a glissé sur 3 mètres sans aucun contrôle. J’ai eu juste le temps de faire marche arrière.

Durant toute la matinée, nous avons essayé différents systèmes de visées en déplaçant la voiture. C’est très difficile, car les déplacements sont minimes. La voiture est lourde, en plus la boue gène considérablement. En contrebraquant, je me suis donné un coup sur le pouce foulé avec la portière. J’ai compris ma douleur. J’ai tout de même pu ramener la voiture sans dommage. 

De 2 heures à 4 heures, nous avons eu une théorie-révision sur les obus, car il y a tir demain. A 5 heures, cours d’anglais. Après la soupe, volley.

Mardi 6 juin 1944 : Le tir a été reporté. Nous sommes sortis avec le matériel à terre nous exercer jusqu’à 10 heures ½, puis sport jusqu’à la soupe. Au réfectoire, il y a eu beaucoup de chahut, d’abord parce que les Alliés ont débarqué, ensuite parce qu’on a eu du vin à table, lequel n’était pas bon d’ailleurs.

mortier de 81mm

mortier de 81m/m

L’après-midi, nous avons eu un cours pratique de dépannage, puis je me suis expliqué pendant 2 heures, sous la pluie, avec ma batterie, parce qu’il faut changer le support. Nous nous sommes couchés tôt à cause de la pluie. Nous avons ri comme des fous sous la guitoune.

Mercredi 7 juin 1944 : J’ai été planté au bureau du Colon toute la journée. J’ai porté des plis dans les différents Escadrons. Un Général américain est venu voir le Régiment vers 4 heures. Après la soupe, nous avons joué contre 2 Escadrons que nous avons battus. Notre équipe commence à être réputée.

Jeudi 8 juin 1944 : Sale journée. Samedi il y a revue de voiture par les Américains. Aussi il faut astiquer les véhicules. Comme il a plu, il y a des flaques et de la boue. J’ai passé la majeure partie de la journée sous l’auto, avec l’essence et le gas-oil. Après avoir nagé dans une flaque, je suis ressorti complètement noir de boue, cambouis, etc… Heureusement, nous avons eu douche à 5 heures. Je ne sais pourquoi, il y a eu l’appel en tenue de sortie. Après souper, sport. 

Vendredi 9 juin 1944 : Journée encore plus détestable. Nous avons terminé à fond le nettoyage de l’auto. Elle est nickel, mais je suis claqué. Surtout que nous avons fait du sport de 11 heures à 11 heures ½. Manque de pot, je suis de garde ce soir et demain. Après déjeuner, nous avons touché un supplément de linge, tricot, caleçon, chaussettes, couverture.

A 9 heures, au rassemblement de la garde, l’Adjudant m’a coincé parce que je n’avais pas les souliers vernis. Ayant la 1ère faction, j’étais déjà en sentinelle depuis une demi-heure, lorsque le Brigadier vient me relever en me disant que je ne prendrai pas la garde cette nuit, comme il y avait un type en plus. Au tirage au sort, c’est moi qui suis sorti. J’ai donc très bien dormi.

Ce matin, nous nous sommes mis en tenue de sortie. Le Commandant nous a passé en revue. J’ai pris mes différents temps de garde, dans la journée sans les trouver longs. Entre temps, j’écrivais sur la table du poste. Vers 6 heures, j’ai vexé une Aspirante. A 9 heures, relève, je me suis couché de suite.

Dimanche 11 juin 1944 :  Sale journée, j’ai lavé du matin au soir, car nous avons une revue de détail demain. Je n’ai même pas pu aller à la messe. Comme je m’y attendais, je suis encore de garde ce soir à cause des souliers de l’autre fois. Aussi, nickel des pieds à la tête, J’attends le rassemblement de la garde.

Cette dernière a été au poil. Je l’ai prise de 8 heures à 11 heures ½. J’ai blagué tout le temps avec les copains de l’atelier qui campent à côté des véhicules, puis j’ai couché par terre entre deux chars. Avec le chef de poste, nous avons blagué jusqu’à minuit, regardant passer les interminables chaînes d’avions qui vont bombarder la France et l’Allemagne tous les soirs.

Lundi 12 juin 1944 : Nous sommes sortis avec les voitures faire des exercices de visée durant toute la matinée. L’après-midi, nous avons passé cette fameuse revue de détail, inspectée par un Commandant américain qui notait tout ce qu’il fallait changer, puis nous n’avons rien foutu jusqu’au soir. Après la soupe, j’ai fait avec délice une partie de basket, d’où je suis sorti complètement claqué.

Mardi 13 juin 1944 : Le matin, nous sommes allés dans un champ voisin faire une mise en batterie avec le mortier à terre, puis après avoir tout replié en 3 minutes, nous avons fait une longue promenade avec les voitures. Nous sommes montés jusqu’à 35 miles. Au début, j’avais tendance à me mettre à droite, maintenant, je commence à en prendre l’habitude.

L’après-midi, j’ai travaillé sur la voiture, car le courant n’arrivait pas au tableau de bord. Tout le monde nettoyait, puis chaque voiture à son tour est allée sur un espèce de banc pour marquer avec le collimateur du mortier, un trait sur le pare- brise, pour que le conducteur puisse aligner la voiture sur les jalons. Cela a été un peu difficile, car il faut déplacer la voiture à des poils près. Comme BAYO était en corvée, il a fallu  que j’emmène sa voiture sur le plateau, que je répète la même opération, puis que je revienne chercher la mienne. Enfin, je n’en finissais plus.

Après la soupe, je suis sorti en perm au village voisin avec BAYO. Je n’ai pas beaucoup dansé. D’abord, il y avait 15 types pour une femme, ensuite rares étaient celles qui me plaisaient, etc…Nous sommes rentrés en discutant gaiement.

Mercredi 14 juin 1944 : Le décrassage a été assez dur, puis nous sommes sortis avec le mortier. Durant toute la matinée, nous avons fait des exercices de l’infanterie, progresser de toutes les façons avec le matériel, puis le mettre en batterie, assurer le ravitaillement en obus, traverser des barrages d’artillerie imaginaires.

Nous sommes revenus un peu fatigués, mais contents de nous. L’après-midi, on nous a piqués contre le tétanos, puis nous sommes passés au coiffeur. Après la soupe nous avons ri comme des fous au volley, car nous faisions les pitres à tout casser.

Jeudi 15 juin 1944 : Nous sommes sortis dans la nature avec les mitrailleuses des voitures et nous avons fait un véritable boulot de biffins. L’après-midi, on nous prit le sang pour déterminer le groupe, puis le Capitaine a passé une revue  de voitures. Enfin douches.

Vendredi 16 juin 1944 : Pas de sport. En imperméable et calot nous sommes partis en manœuvres pour la journée avec les autres chars, les chars du 1er Escadron et une partie du 2ème R.M.T. Nous avons beaucoup roulé, pris position à 12 heures. Le camouflage était très réussi. La voiture disparaissait sous un amas de branches.

Nous avons mangé tranquillement nos conserves, puis, camouflés des pieds à la tête avec du feuillage, nous avons attendu l’attaque. J’étais guetteur, à plat ventre, les jumelles à la main. J’ai attendu une ½ heure, puis nous avons fait nos exercices habituels. Menacés sur la gauche. Nous avons effectué une retraite plutôt rapide. A un moment, j’étais 4ème dans un champ labouré, c’est tout dire. Nous avons repris le combat sur une autre position, puis, à 5 heures, le convoi s’est reformé pour le retour. L’attaque avait réussi, mais les chars y ont laissé des plumes.

Durant le retour, nous avons dû doubler des destroyers avec leur largeur et l’étroitesse des routes anglaises, l’équipage n’était pas rassuré. Quand j’en ai doublé un à 50 miles, alors que nous avions le spectacle devant la 1ère voiture doublant un autre char devant nous dans des conditions aussi difficiles que les nôtres. Enfin, tout s’est bien passé. Après la soupe, j’écris, ayant un paquet à porter et devant jouer demain pour la fête du Régiment.

Samedi 17 juin 1944 : Je me suis levé tôt étant de jus, et ce n’est pas un petit boulot. Il faut servir le chocolat, partager le pain, le beurre. Enfin, distribuer les saucisses, le plat du jour, puis laver les plats.

A 9 heures ½, tout l’Escadron était rassemblé en guêtres, pantalon, chemise et casque léger. Nous avons rejoint les autres Escadrons dans un pré voisin, puis le Colonel nous a parlé. Ce n’est plus lui qui commande le Régiment, mais le Commandant MINJONNET. Après un bref résumé sur la biographie du Régiment, nous avons défilé. J’ai fait tout ça sans gout du tout. Je trouve que pour la fête du Régiment, c’est faible jusqu’à maintenant.

Tout l’après-midi a été occupé par le sport. Beaucoup d’équipes de volley étaient engagées. La mienne n’était pas trop mauvaise, nous nous sommes fait battre injustement en 3ème partie. Alors que l’on se croyait déjà vainqueur, une erreur du marqueur fut la cause de notre défaite. Nous étions plutôt en colère, personnellement, j’étais mauvais. Nous nous sommes démenés comme 4 pour avoir une revanche. Rien à faire. Moins 5, je me faisais mettre en tôle par le Lieutenant de l’équipe adverse.

Au cours du match, plutôt acharné, je suis rentré dans un Brigadier-chef. Il en a pour 8 jours avec un œil poché. 5 minutes après, le Brigadier me rentre dedans avec une violence qui nous a projeté par terre tous les deux. J’ai eu mal sur le moment, ça a empiré, j’en ai pour 8 jours à boiter.

Après la soupe, allongés sur nos lits, fumant béatement, nous avons discuté sur l’amour, notre conversation préférée.

Dimanche 18 juin 1944 : Réveillé à 7 heures, nous avons bu notre chocolat, puis chacun s’est rendormi allègrement. Je me suis réveillé à 10 heures ¼, juste pour aller à la messe du camp. Après déjeuner, j’ai lavé, puis avec MARTIN nous avons bricolé à la voiture (peinture, limage de ferrure, etc…), Je n’ai jamais parlé du Peloton, ni des copains, en voici la composition :

Le Sous-lieutenant de MASCLARY

le Chef CAPARROS,

3 Maréchaux des Logis : HUGUET      -    COURIOLLES     -  SCHWALM

Dans les 4 Half-tracks :

1 /  Brigadier-chef PLANCHAT + indigènes

2/  Brigadier JACQUETY - SCHUMANN conducteur- GIANNI radio

3/ Brigadier-chef  DOUCHTÉ - ANTONI  Conducteur - MARTIN  Opérateur Radio

4/ Brigadier-chef LIZÉ - BAYONNAS Conducteur - BOURRETTE  Radio

Pour le moment, dans notre guitoune dorment :

SCHUMANN, BAYO, MARTIN, moi et le Brigadier JACQUETY qui en est le maître.

 

SLT de MASCLARY

Sous-lieutenant de MASCLARY

Lundi 19 juin 1944 : Le matin, exercice avec le matériel à terre. Je n’ai rien fait, car en principe le conducteur reste à sa voiture. L’après-midi, nous avons nettoyé les voitures et refait quelques peintures. Après souper, nous avons ri comme des fous avec des petits ballons qu’on gonflait et qu’on lançait dans l’air. Puis, on jouait au base-ball.

Mardi 20 juin 1944 : Le sport a été très long, puis nous avons eu instruction sur un Sherman et fini des peintures de la voiture. L’après-midi, révision radio de 2 heures à 3 heures, puis cours sur les mines par un Sous-lieutenant. Après l’appel, tout l’E.H.R. a fait un exercice de défilé, car il va y avoir une autre revue. Après la soupe, sport.

Mercredi 21 juin 1944 : Après le sport, nous avons fait un exercice de signaux avec les fanions, puis nous avons préparé les voitures pour la sortie de l’après-midi.

Rassemblés à 12 heures ½ en ceinturon et casque complet, nous sommes partis en convoi pour le champ de tir. Nous avons tiré à la mitrailleuse durant l’après-midi, puis nous sommes rentrés plein de poussière à 6 heures pour l’appel. Après la soupe, volley. Engueulé avec un chef, je n’ai pas été puni de justesse.

Après le sport, nous nous sommes amusés à faire de la lutte dans la guitoune. Nous nous amusions comme des fous, lorsqu’à un moment donné, MARTIN et moi roulâmes contre la caisse qui sert d’étagère au Brigadier JACQUETY. Subitement calmés, nous avons rangé le désordre tant bien que mal, tout en riant jaune et en lui raflant 3 gâteaux dans le tas. Comme il était en perm, nous nous sommes couchés en vitesse et bien camouflés sous nos couvertures en attendant la catastrophe.

Ah, ça n’a raté. ¾ d’heure plus tard, déjà parti dans le domaine des songes, comme de juste, le Brigadier me réveille à grands cris plutôt impératifs et menaçants. Je lui explique tant bien que mal, puis je  me camoufle à nouveau soigneusement. Qu’est-ce qu’on a pris pendant 1 heure et ½. MARTIN lui répliquait de temps en temps, tout le reste n’en cassait pas une. Le Bricard ne parlait rien moins que de retourner tous les paquetages, parce qu’on avait (il en était persuadé) fouillé dans ses affaires. Enfin, il s’est endormi non sans force jurons.

Jeudi 22 juin 1945 : Le matin, nous avons astiqué les voitures, chaque membre de l’équipage sur son appareil. C’est-à-dire moi, mon moteur, le radio, ses appareils et sa mitrailleuse, le Brigadier-chef, son mortier, et les indigènes, la voiture elle-même. J’ai glissé 2 mots au Lieutenant pour qu’il nous procure un poste de T.S.F.

L’après-midi, nous avons eu un cours de dépannage très intéressant. Nous avons démonté une chenille sur la bagnole du Lieutenant. Tout le monde regardait pendant que les conducteurs sa tapaient le travail. J’aime mieux dire que c’est plutôt fatiguant. Il faut le cric, des leviers, des chaînes, des clefs. Ça n’en finit plus.

Aujourd’hui, nous avons touché un 2ème pantalon de sortie, car le 1er est pour la tenue de combat. Je crois maintenant tout le monde a des vestes et non plus des blousons comme en avaient certains. Nous avons touché aussi 4 mitraillettes anglaises. On ne sait pas encore si c’est pour les conducteurs ou les chefs de voitures. Ce sont des drôles d’engins qui repliés tiennent dans une boite de 40 cm sur 30. Nous avons aussi touché notre NAAFI ce soir : chocolat, biscuits, cigarettes, chewing-gum, etc…

Un peu fatigués, nous ne jouons pas au volley, les uns jouent aux sous, d’autres discutent. Je vais écouter la musique du poste à galène.

Vendredi 23 juin 1944 : Sortie en véhicules. Les 4 conducteurs nous sommes allés au parc avant le Peloton, pour chauffer les voitures, armés de nos mitraillettes qui ont fait sensation partout. Nous sommes allés à 5 miles d’ici faire un exercice de mise en batterie, Nos margis étaient consultant. Le Brigadier-Chef pointeur a tout commandé. Ça n’a pas marché du tout, car c’est un crétin fini. En revenant, la voiture a fait des secousses, sur 500 mètres, je n’ai pas pu passer la 3ème vitesse.

L’après-midi, nous avons théorie sur la topographie avec les cartes anglaises, puis un cours pratique sur notre nouvelle mitraillette. Le démontage est un peu compliqué, mais on l’apprend vite. Ça à l’air d’une bonne arme. Elle possède 14 chargeurs de 30 cartouches chacun. Après ça, le Lieutenant nous a fait un petit speech sur la camaraderie et la discipline, car il y a beaucoup de choses qui ne vont pas. Nous n’avions rien fait jusqu’à l’appel. Il y a exercice de défilé ensuite.

J’ai eu une petite histoire avec GIANNI après la soupe, parce qu’il s’était camouflé pendant les pluches. On nous a séparés comme ça se gâtait.

Samedi 24 juin 1944 : J’ai failli aller en perm à Hull. Ce matin, nous avons eu sport jusqu’à 8 heures ½, puis exercice de mise en batterie avec les voitures dans un pré voisin. On a fait de la précision. le collimateur du pare-brise de ma voiture n’était pas très bien à sa place. On est resté jusqu’à midi passé sans réussir exactement. L’après-midi, tous les véhicules ont fait la chaîne à l’atelier où un type passait tous les capots au pistolet, à la peinture verte, parce qu’il va falloir peindre une étoile sur le capot. Ensuite, avec les Margis, nous avons repeint le collimateur sur le pare-brise. Après la soupe, je suis allé à Wetwang avec MARTIN, télégraphier à mon Anglaise pour qu’elle essaye de venir au bal du Régiment lundi soir.

Wetwang et Fimber

Fimber   -   Wetwang

Dimanche 25 juin1944 : Je me suis levé à 10 heures ¼ pour assister à la messe. En revenant, les copains dorment encore. J’ai mis de l’ordre dans mes affaires. Après le souper, avec SCHUMANN et BAYO, j’ai lavé du linge jusqu’à 3 heures ½. Nous étions très en gaité. Nous avons travaillé en chantant comme des fous. Puis nous nous sommes envoyés en faisant ce que l’on peut faire dans un camp ; écrire, jouer au volley, se promener, se chamailler, enfin se coucher.

Lundi 26 juin 1944 : Au réveil, le Brigadier-chef de jour, nous annonce qu’il n’y a pas de sport ce matin parce qu’il a plu dans la nuit. En un clin d’œil, les têtes disparaissent au plus profond des couvertures. C’est toujours une ½ heure de gagnée.

Comme il y a encore revue de voitures par les Américains demain, on a astiqué les bagnoles. Je suis resté toute la matinée sous le capot, uniquement. Aussi, il n’y a pas un fil ou une vis du moteur qui ne brille pas. MARTIN a fait l’intérieur, les 2 arabes tout le reste. Comme il pleut, nous ne retournons pas aux voitures l’après-midi.

A 3 heures, le chef nous a fait un petit speech sur la marche du Peloton qui ne marche pas du tout. Ce fut une réunion à en pleurer. Les principes chrétiens ont joué un grand rôle. Bref, à l’entendre, chacun doit y mettre du sien, il ne veut plus de gueulantes. 

En ce moment, les radios ont un cours, pendant que les conducteurs roupillent. A 5 heures, le Brigadier-chef de jour annonce que le travail est fini. La soupe est à 6 heures ¼, au lieu de 7. Le bal commencera à 8 heures et finira à 11 heures. Très en gaité, je me lave et me rase soigneusement comme tout le monde d’ailleurs. Jamais les lavabos n’ont été si encombrés. Nous mangeons en vitesse et nous habillons toujours aussi vite et nous voila nous promenant sur la route, guettant avec inquiétude des silhouettes de femmes qui se pointent à l’horizon.

Il est 8 heures ¼ et il n’y a toujours pas de femmes. Tout le Régiment est sur la route commençant à s’énerver. Enfin, les camions arrivent, il en descend l’orchestre de la R.A.F. de York et une cinquantaine d’aviatrices anglaises. Aussitôt, c’est la meute de chiens derrière le gibier, car chacun sent qu’à ce bal loupé, il va y avoir à peine 20% de femmes. 3 grands réfectoires ont été transformés en salle de danse. Les musiciens prennent place sur une estrade. Ces dames déposent leur casquette au vestiaire et tout le monde s’observe. Bientôt, plantant les copains, j’aborde une Anglaise et appelant à moi tout le peu que je sais de cette langue j’entame connaissance. Je ne l’ai plus lâchée jusqu’à la fin du bal. Nous avons pas mal discuté. Je n’ai pas loupé une danse, à la grande jalousie des copains qui ne me lâchaient pas des yeux. Tel un galant cavalier, j’ai agi comme dans un bal français. Je l’ai emmenée boire, faites sortir quand elle avait chaud, enfin, toute la gamme naturellement. Les adresses ont été prises de part et d’autre.

A 11 heures, l’orchestre clôtura le bal par la « Marseillaise » et le « God Save the King ». Nous sommes allés au mess des Sous-officiers prendre un petit lunch. Les Chasseurs accompagnés pouvaient y rentrer. Enfin, ce fut les grands adieux devant les camions, et l’embarquement, et le départ. Je me suis couché, enchanté de ma soirée, en pensant à Muriel. 

Mardi 27 juin 1944 : Le matin, nous n’avons rien foutu. Il pleut. Les Américains ont passé la revue de voiture à 10 heures ½. L’après-midi, nous avons eu une longue théorie sur le dépannage, puis les radios et les Brigadier-chefs ont eu radio, pendant que j’emmenais le Peloton aux douches. Après le souper, je suis allé danser à Wetwang avec BOURRETTE, Je me suis amusé follement.

Mercredi 27 juin 1944 : Nous étions encore dans les bras de Morphée, lorsque le Brigadier-chef de jour gueule à 6 heures ½ : « Tout le monde en tenue de défilé pour 8 heures 1/2. Pas de sport, campement nickel ». A 7 heures, nous nous levons et nous préparons consciencieusement. A 8 heures ½, le Peloton est rassemblé, imperméable, pantalon, guêtres, chemise, cravate, casque léger. Il y a 2 ou 3 jours, on nous a peint des Croix de Lorraine sur les casques, nous avons l’air de croisés. Nous sommes Peloton d’Honneur avec les anti-chars et l’approvisionnement.

De 9 heures à 9 heures ½, ce sont les rituelles présentations, Lieutenant, Capitaine, etc… Enfin, à 10 heures, nous sommes placés devant le mât des Couleurs, nous attendons la visite du Général américain PATTON, Le carré des Officiers est formé. Le Colonel de LANGLADE, commandant notre Groupement Tactique arrive : « Présentez armes » etc… 10 minutes  après, contre ordre. Le Général ne vient qu’à 2 heures. Nous repartons enchantés de n’avoir rien foutu de la matinée. A 1 heure ½, nous avons remis ça. Cette fois pas de contre ordre, une tapée d’huiles arrivent : C'étaient LECLERC et PATTON. Après une rapide inspection du camp, il repart, c’est fini. Nous nous changeons.

A 4 heures ½, examen dentaire et piqure contre le tétanos. Après la piqure, tous les conducteurs, nous avons fait nos pleins, puis repas. Après la soupe, nous avons fait du volley, puis une formidable partie de rugby où nous avons failli mourir et de rire et de fatigue.

Jeudi 29 juin 1944 : Il a plu à torrents jusqu’à 10 heures. Nous n’avons pas mis le pied dehors. A 10 heures ½, nous avons touché un sérieux complément de paquetage servant surtout pour la tenue de combat : canadienne, blouson, chaussettes, soie, couvre-nuque du casque, mouchoirs, tricot laine. Nous sentons vraiment l’approche du grand départ. Tout le monde s’y prépare. Ardemment, l’atelier travaille tard dans la nuit. Chacun met au point tout ce qui n’y est pas.

A 3 heures, nous sommes repassés à l’atelier des voitures pour qu’on nous peigne l’étoile sur le capot, puis nous avons bricolé sur les voitures. Ce matin, j’ai oublié ma trousse avec mes objets de toilette au lavabo. Aussi, elle a fait des classes à pieds. A 7 heures, je suis allé en perm à Driffield où j’ai chanté jusqu’à 10 heures ½. J’ai eu une touche avec une aviatrice, mais sans plus.

Vendredi 30 juin 1944 : A cause d’une boue formidable, pas de sport. Cette semaine est au poil sur ce  point là. Toute la matinée, nous avons fait des exercices de pointages, surtout pour entrainer les conducteurs à encadrer les jalons dans leur collimateur. Je me suis bien débrouillé, car j’ai mis moins de temps que BAYO et SCHUMANN. Puis, nous avons réglé les boussoles en alignant les véhicules sur des jalons plantés vers les 4 points cardinaux.

Nous sommes rentrés à 12 heures. J’en transpirais, car il fait lourd et il est très pénible de conduire en crabotage et réducteur dans 30 cm de boue. L’après-midi, il y a eu nettoyage des voitures. Comme il y a une perm pour Hull demain, il y a eu de grandes bagarres. Le Lieutenant a dû venir régler cela en personne. Finalement, il n’est resté que mon Margis et moi en cause. Le Margis l’a eu finalement sans bagarre avec moi. Nous nous sommes expliqués en particulier, et nous nous sommes quittés en bons termes, mais non excellents copains comme nous l’étions depuis quelques temps.

A 6 heures, il y a eu un exercice formidable de défilé. Nous défilons à 6. Notre Peloton fait bloc avec les anti-chars. L’ensemble manœuvre très bien. Tout ça en vue de la remise de fanion au Régiment lundi.

Samedi 1er juillet 1944 : Le Lieutenant nous a fait un cours sur l’observation, puis nous avons eu repos, c’est-à-dire lavage, coiffeur, etc…A 4 heures, nous avons eu de nouveau exercice de défilé, toujours à 6. Mauvaise nouvelle, demain matin exercice, mais en tenue de parade.

Dimanche 2 juillet 1944 : Nous avons eu exercice de défilé en tenue jusqu’à 10 heures ½, puis nous sommes partis à Bridlington à 11 heures ½. Je me suis amusé, car j’ai flirté à tout casser.

Lundi 3 juillet 1944 : En tenue à 9 heures, inspection, puis soupe à 9 heures ½.  Au départ, nous avons touché les fameux calots de tradition que nous attendions avec impatience. Ils sont bleu ciel avec fond et liseret jaune cru. Au premier abord, ça choque, ensuite, ça fait bien.

De tous les côtés, ça gueulait à qui mieux mieux. Enfin, le détachement est monté dans les camions et nous sommes partis. Vers 11 heures ½, nous arrivions au Q.G. de la Division, dans le parc d’un immense château. Il y avait presque tous les Régiments représentés. Nous avons provoqué beaucoup d’envie avec nos calots. Placés sur une immense pelouse, commandés par un haut-parleur, 5 Régiments ont reçu leur fanion des mains du Général KOENIG. La cérémonie était magnifique. Il y avait des calots rouges, noirs, bleus et jaunes. bleus mauves et chèches blancs, etc… Aux accents de la « Marseillaise », j’ai senti mes poils se dresser en présentant les armes.

De retour au Régiment, tout le gros qui n’avait pas défilé nous attendait formé en carré. Le Commandant a fait un speech un peu émouvant, puis rompez. A 6 heures, je suis parti en perm à Driffield, pour en revenir à 12 heures, très content de moi et des Anglaises. 

Mardi 4 juillet 1944 : Réveillés à 6 heures, grand branle-bas, nous partons au tir. Je pars devant chauffer le moulin, les autres se préparent. La première pièce était en panne. Le Lieut. est monté avec moi. J’étais avant dernier du convoi. Nous avons roulé pendant une heure, traversant villages et une grande ville.

De 10 heures à 12 heures, nous avons tiré à la mitrailleuse sur cibles mouvantes. Puis, repas froid sur l’herbe. De 2 heures à 4 heures, tirs de D.C.A. sur espèce d’obus de mortiers lancés d’un camp anglais. J’adore ce tir, surtout à la mitrailleuse lourde. A 4 heures ¼, nous étions prêts, en colonne, pour revenir.

Comme le Lieutenant commandait le convoi en l’absence du Capitaine, je suis passé en tête. On démarre, vitesse 30 km/h. Personne ne connaissait le chemin. En retraversant la grande ville, on se trompe et on perd la moitié du convoi. On revient sur nos pas. Après maints pour-parlers, on prend une route, mais pas la même qu’à l’aller. Voulant à tout prix avoir le temps de m’habiller pour aller danser à Wetwang, j’appuie sur le champignon.

Le Lieutenant vexé de s’être trompé et voulant rattraper la 2ème partie du convoi, me laisse faire. Malheur, je n’ai pas lâché le 40 miles, et parfois le 45. Là, on n'avait jamais si bien donné. Les anti-chars suivaient très bien ce train d’enfer. Nous doublions les voitures civiles. A chaque patelin, nous demandions notre route. Dans un village notamment, un petit incident où j’ai feinté le Lieutenant. Il se penche à droite et demande la route à 3 jeunes filles qui se trouvaient là. Je ne sais pas si l’accent n’y était pas, les 3 mômes ne comprenaient pas. Parlant infiniment moins bien que le Lieutenant, je me taisais. Lorsque je vois une jeune fille à gauche, le renseignement était facile. Je lui demande ça, et d’un trait, elle répond de suite. Je me penche vers le Lieutenant pour lui dire, quand il se rassoit et un peu sec : « en avant ». J’ai compris aussi, je n’en casse pas une.

Je tourne après la poste et après à droite, comme l’a dit la jeune fille, et en avant 40 miles. Nous sommes arrivés au camp à 6 heures 20, Ô surprise, avant l’autre convoi et qui pourtant n’avait pas fait de détour. J’ai donc eu le temps de me laver et de me préparer pour aller danser.

C’était vraiment le jour des feintes. BOURRETTE me dit : « J’ai une perm, je n’y vais pas. Essaye de l’avoir à la distribution ». L’Adjudant m’appelle BOURRETTE, j’avance. Il ne me reconnait pas. Mieux, il me dit : « C’est vous qui n’avez pas retrouvé votre fusil après le défilé ? ». En bégayant un peu, je dis : « Oui ». Il me répond : « Entrez au bureau, c’est certainement un de ces deux-là. La gorge contractée, j’examine les deux fusils. Me décidant, je dis : « Voilà le mien ». « Bon, voilà votre fusil, vous pouvez partir ». Un peu pâle, je reviens à la guitoune. « BOURRETTE, c’est ton fusil ? ». « Oui » me répond ce dernier… Il n’y a de la chance que pour la canaille. Jusqu’à minuit, je me suis très bien amusé avec une adorable Londonienne réfugiée à Wetwang à cause des bombardements.

Mercredi 5 juillet 1944 : Toute la matinée, nettoyage des voitures. L’après-midi, le nettoyage a continué. J’ai replacé un boulon à un essieu de galet que j’avais perdu il y a un mois. Comme les broches s’étaient écartées, le Brigadier-chef dépanneur et moi avons eu un mal infini à le fixer. Je suis ressorti complètement claqué de dessous la voiture.

Le soir à l’appel, on a lu les nouvelles promotions. J’ai été déçu, il n’y a pas eu de nomination de Brigadier. BOURRETTE est 1ère Classe. Je croyais bien pourtant que c’était pour cette fois…Je suis sorti au village, car j’avais rendez-vous avec Doreen ( ma Canadienne ).

Jeudi 6 juillet 1944 : Durant la matinée, nous avons fait un exercice de mise en batterie avec la dernière méthode, c’est-à-dire, le conducteur aligne la voiture avec la fente peinte sur le pare-brise. Nous avons utilisé pour la 1ère fois le filet de camouflage que nous avons touché hier.

De 2 heures à 4 heures, nous avons placé les chaînes pour les voitures, puis nous avons essayé le tout sur une pente formidable et boueuse. Je reste stupéfait de voir les pentes que gravissent les véhicules lorsque l’on place le réducteur. La suite, nettoyage puis douches. J’ai omis de dire, qu’hier, le Brigadier JACQUETY, a été nommé Brigadier-chef. Pour le coup, on n’arrête pas de le plaisanter toute la journée.

Vendredi 7 juillet 1944 : Le matin, exercice avec matériel à terre. Comme le Margis était en service avec l’ambulance, je me suis appuyé presque tout le travail, car le Brigadier-chef est dégourdi comme un manche à balai. L’après-midi, bricolage. Les conducteurs aux voitures, les quatre, pour matriculer les sacs, car on nous a changé un sac pour nous en donner un qui se ferme avec cadenas.

Après la soupe, je me suis préparé, car sauf imprévu, je vais en permission demain toute la journée à Hull. Aujourd’hui, nous avons touché des bretelles de suspension et la petite casquette en laine qui se porte sous le casque.

Samedi 8 juillet 1944 : J’ai passé toute la journée à Hull. Une matinée bien remplie en achats et un après-midi délicieux avec une charmante Anglaise, dont le gout des lèvres a failli me faire rater le train sur le quai de la gare.

Dimanche 9 juillet 1944 : Levé à 10 heures, je suis allé à la messe. Ensuite, je suis allé voir le couple qui fait garde barrière avant la gare et je me suis expliqué avec eux pour savoir s’ils pouvaient recevoir des lettres de moi, car par l’armée, ces dernières mettent trop de temps à parvenir. Pour l’après-midi, j’ai bricolé, puis le soir, j’ai vu Doreen.

Lundi 10 juillet 1944 : Nous n’avons rien fait de la journée. Le matin, bricolage aux voitures et réintégration des manteaux. A 1 heure, tout le Régiment en tenue de sortie a été photographié par Escadron. Ensuite, comme il a plu, nous sommes restés dans les guitounes jusqu’à la soupe.

 

HUGUET

Escadron-Hors-Rang Cimmandé par le Capitaine STARCK, ici au centre de la photo.

De gauche à droite et de bas en haut : 12ème ANTONI - 17ème BOURRETTE - 35ème HUGUET (cercle)- 37ème SCHWALM - 60ème PLANCHAT. 

 

Mardi 11 juillet 1944 : Nous sommes allés au tir comme mardi dernier. Nous avons tiré avec nos nouvelles mitraillettes. J’ai fait  le 2ème meilleur tir. J’ai mis 10 balles sur 20 à 50 m. dans un carton de 30 sur 50 cm. L’après-midi, tir à la mitrailleuse sur cibles mouvantes représentant un char. J’ai très bien tiré aussi pendant tout son trajet.

Aujourd’hui, nous sentons du nouveau dans l’air. Un motocycliste est venu interrompre le tir vers 4 heures. En arrivant au camp, nous avons appris que les permissions de dimanche prochain étaient toutes supprimées. Nous sentons tous que le départ se précipite. Après la soupe, je suis allé au bal où je me suis bien amusé jusqu’à minuit et demi.

Mercredi 12 juillet 1944 : Toute la journée, les conducteurs ont travaillé sur leurs voitures. J’étais un peu fatigué, car j’ai fait beaucoup de travail : nettoyage, peinture, graissage des chaînes, des câbles, etc…Après la soupe, je suis sorti pour voir Doreen. Manque de pot, sa mère ne l’a pas lâchée d’une semelle.

Jeudi 13 juillet 1944 : Nous avons fait un exercice très enrichissant. Les conducteurs, nous partons à 8 heures ¼ chauffer les moteurs, puis amener les voitures, puis de la porte, tout le monde embarque. Je passe en tête, car c’est mon Margis qui emmène les 3 pièces en un endroit fixé par le Lieutenant. Tandis que la voiture des derniers se rend par un autre chemin à l’endroit de l’objectif présumé pour l’exercice de tir avec 2 radios qui devaient faire éclater des pétards. Peu après être arrivés au rendez-vous, le Lieutenant arrive aussi et nous indique le champ où nous devons nous mettre en batterie.

J’ai eu quelque mal à charger la rocket parce que le terrain penchait à cet endroit. J’y suis arrivé quand même. Le Lieutenant nous a dit bien après avoir vérifié. Pendant le tir couché à égale distance entre la voiture et le Margis sur la crête, je transmettais les ordres du Margis. Pendant ce temps, les 2 radios jetaient des pétards à qui mieux mieux. Nous sommes rentrés tranquillement pour la soupe.

A 1 heure, nous sommes passés à la 3ème piqure antitétanique. Il a plu tout l’après-midi. Nous avons révisé à fond la mitrailleuse de 50, celle qui est sur la voiture du Lieutenant. Après la soupe, nous avons vu les photos. Je suis assez bien sorti. Je suis sorti au village.

Vendredi 14 juillet 1944 : Au sport, nous avons fait un peu de foot, puis nous avons emmené les voitures dans le pré voisin où sont presque tous les chars pour les graissages, car le parc est rempli de flaques et de boue. Je suis sorti complètement claqué, car la boue obstruait le passage de la graisse. De plus, sous la voiture, les positions de travail sont extrêmement pénibles.

Il y a un remue-ménage formidable au camp. Le bruit court que nous partons dans 8 jours. De tous les côtés, ça travaille dur et ferme. L’atelier surtout tard dans la nuit. Notre Lieutenant et le Brigadier-chef JACQUETY partent demain avec un détachement précurseur pour le lieu où doit se grouper toute la Division.

L’après-midi, le même travail a continué. J’ai déroulé tout mon treuil pour le graisser, puis je l’ai enroulé en l’accrochant à la voiture à SCHUMANN. Le soir, contre ordre, le Lieut. et le Brigadier-chef JACQUETY ne partent pas encore.

Samedi 15 juillet 1944 : Toute la matinée, j’ai arrangé un câble que l’on a trouvé en rab, puis je l’ai graissé entièrement et placé sur le pare-chocs. Tout l’après-midi, après avoir touché le prêt, nous avons eu un cours pratique sur les mines, avec une série d’explosions et des à plat ventre à « tire-larigot » . Le soir, je suis allé danser à Wetwang avec Doreen.

Dimanche 16 juillet 1944 : Toute la matinée, vidange et nettoyage des ponts et moteurs. Messe à 11 heures ¼. A 2 heures, grande bagarre. Le sous-off. chargé de l’habillement ayant égaré une paire de chaussettes. Le Chef nous rassemble pour faire des classes à pied, jusqu’à ce que celui qui l’avait prise se dénonce. J’avais une colère folle. Le chef a dû me rappeler 3 fois à l’ordre pour que je marche. J’ai failli entrainer les copains à sortir des rangs.

Un quart d’heure après, le Chef nous rappelle et s’excuse. L’erreur est trouvée, il nous fait ses excuses. Je n’ai pas desserré les dents. Nous avons terminé les pleins et nettoyé les treuils. Ensuite, lavage. Je suis sorti après la soupe et j’ai vu Doreen.

Lundi 17 juillet 1944 : Toute la journée, les 4 conducteurs ont travaillé aux véhicules pendant que le reste était à l’exercice de pose des mines.  Ce soir, il y a exercice de nuit. Je suis en rogne, car j’aurais préféré voir Doreen., surtout que je suis agent de liaison. Je prévois encore une chiée de crampes.

Mardi 18 juillet 1944 : Après avoir mangé en vitesse, nous nous rassemblons : combinaisons, blousons, casque complet, bidon, arme, musette, avec couverture et naturellement nombre respectable de gâteaux et sandwichs achetés à la NAAFI.

Le Peloton est ainsi constitué : 4 pièces de mitrailleuses. BAYONNAS et moi avec le Chef faisant fonction chef Peloton. BAYO comme observateur et défense rapprochée, moi comme agent de liaison. A 8 heures ¼, tout le monde est installé. Voici l’histoire. Un champ de mines a été posé. Le  Régiment du Tchad doit venir et percer cette brèche. Nous devons les en empêcher, ainsi que les anti-chars qui attendent sagement camouflés l’apparition inopinée de véhicules.

Tout d’abord, c’est une engueulade avec le Chef, parce que je ne suis pas du tout dans l’ambiance. Au lieu de le suivre, je discute en mangeant des sandwichs avec les anti-chars Ensuite, je fume en plein travail, etc… énervé, il me dit : «  Vous retrouvez la dernière mitrailleuse que j’ai placée. Si vous ne la trouvez pas, plus de permissions. Heureusement, je connaissais à peu près les lieux. En cherchant un peu, et en demandant, je retrouve cette fameuse pièce et je reviens en vitesse. Le Chef s’adoucit alors, et à partir de ce moment, nous avons blagué comme 2 copains, toute la soirée.

En allant voir les uns et les autres, je n’ai pas eu beaucoup de messages à transmettre. Vers 11 heures 1/2, on a vu l’Infanterie arriver. Il y a eu une série de tirs de part et d’autres. Une mine a sauté, puis j’ai roupillé jusqu’à 2 heures du matin sans plus m’occuper de rien, car le Chef était parti d’un autre côté… En rentrant au camp à 2 heures ¼, j’ai appris qu’une patrouille du Tchad m’avait frôlé et si seulement je ronflais, j’aurais été prisonnier.

Avant de me coucher, j’ai mangé d’excellent appétit une demi-boite de bean. Ce matin, à part le jus, réveil à 9 heures, puis bricoles, lavage, distribution de NAAFI. Il est maintenant 11 heures, nous ne reprendrons sans doute le travail que cet après-midi.

A 2 heures, nous sommes allés au village pour laver les voitures. Ô joie, Doreen était assise sur le gazon avec ses sœurs et sa mère. Pendant tout le nettoyage, le Peloton m’a charrié à qui mieux mieux. Après le nettoyage, le Margis m’a donné 5 minutes pour aller lui parler. Le soir, à l’appel, on lit la déclaration, nous sommes consignés, mais pas pour le village. Quel soupir. Je suis allé retrouver Doreen en toute hâte…

Mercredi 19 juillet 1944 : Durant la matinée, dernier exercice avec les mortiers. Sortie avec le matériel à terre. Les 4 conducteurs, sur le lieu de l’objectif, nous avons simulé les coups d’obus en jetant des espèces de pétards fabriqués par nous-mêmes.

L’après-midi, nous avons travaillé comme des nègres, car nous avons touché les munitions. Il a fallu déballer les caisses et tout charger sur la voiture. Et il y en a : Obus, fusées de roquette, mines, cartouches de mitrailleuses, etc… Je suis allé danser à Wetwang.

Jeudi 20 juillet 1944 : Levé à 7 heures. Pas de sport. Nous préparons nos sacs et mettons la dernière main à nos préparatifs. Nous avons rendu nos couvertures. Il ne nous en reste plus que 2. Heureusement que j’ai toujours ma couverture civile. Nous avons rendu les paillasses. Des corvées démontent les réfectoires, nous mangeons dans les guitounes. Je crois que nous partons demain, car les voitures doivent être prêtes ce soir. Le paquetage est quasi composé. Tout dans le sac A, un peu dans le havresac. Nous sommes habillés en guêtres, pantalon sortie, chemise, cravate, blouson.

Durant la matinée, l’ordre est changé. Nous devions partir en combinaison. Nous avons encore chargé des munitions. La voiture est pleine à craquer. Puis l’après-midi, nous avons fait nos paquetages. Puis, nous avons amené les véhicules à côté des guitounes. Il est 7 heures du soir. Tout est paré, nous avons juste 2 couvertures pour dormir cette nuit. Je crois que nous allons geler. Nous sommes tous très contents de partir. Nous avons chahuté toute la journée. Ce soir à la soupe, les Margis ont mangé avec nous. C’est déjà un peu l’atmosphère du baroud, surtout que les numéros sont déjà marqués à la craie sur les voitures pour l’embarquement.

Vers 8 heures,  j’attendais Doreen, quand sa cousine arrive en me disant qu’elle était allée chez le docteur à cause de ses oreilles et que sa mère ne la laisserait pas venir. Aussi sec, je m’habille, j’emprunte un vélo à une jeune fille sur la route et me voilà parti pour mes derniers baisers en Angleterre. Une fois rentré, en jouant avec des bâtons, BOURRETTE m’a donné un formidable coup de trique sur le front. J’ai une bosse terrible et je ne peux mettre mon casque qu’en le penchant en arrière.

Vendredi 22 juillet 1944 : Nous avons très mal dormi sur une couverture à même le plancher. Réveil à 5 heures ½. Tout le monde à pris le jus en faisant la queue, le quart à la main. Ensuite démontage des guitounes, nettoyage du camp. Puis chargement des sacs.

A 7 heures ½, nous partons. Nos 4 voitures ont un petit drapeau français sur le phare gauche. En traversant Wetwang, pas un chat. Ma chérie devrait dormir encore. Je ne suis pas triste du tout, au contraire. Peu après, des vaches m’arrêtaient. Pour rattraper le convoi, je fonce jusqu’à 45 miles. Vlan, le vent m’arrache mon petit drapeau. Ce qui nous a contrariés. Jusqu’à 12 heures, nous roulons, tantôt vite, tantôt doucement. Dans toutes les villes , les gens nous font des signes.

A 12 heures, grande halte. Repas, pleins d’essence avec des nourrices de réserve. Il fait un peu froid. Nous allons repartir à 1 heure. Nous avons roulé tout l’après-midi, avec de courtes haltes. Dans les grandes villes, je me suis fait des cheveux pour ne pas perdre de vue la bagnole de devant. C’est une véritable suée avec tous ces sacrés trams et autobus. Il y a bien des flics anglais en gants blancs qui nous indiquent la route, mais avec tout le trafic, c’est tout de même difficile.

Vers 7 heures, nous sommes arrivés dans un camp pour les gens de passage. Une fois les véhicules rangés, nous avons fait les pleins et les révisions habituelles. J’ai des ennuis avec la direction. Tout d’un coup, elle est devenue dure. On a cherché partout, mais en vain. Ensuite, nous nous sommes installés dans des guitounes toutes montées.

En allant à la soupe, j’ai failli avoir 8 jours de prison par le Commandant pour porter la casquette de laine à la place du calot ou du casque. Je me suis tu à temps. Je m’en suis tiré avec une garde fabor. Je suis un peu fatigué, car c’est dur de conduire pendant longtemps. Je ne savais plus comment appuyer sur mes pédales et tenir mon volant. A la fin, toutes les positions fatiguent. Heureusement, sur le pare-brise, j’avais la douce vision de Doreen. Je ne suis ni triste, ni gai.

Samedi 23 juillet 1944 : J’ai passé une excellente nuit. Réveil 7 heures. Préparatifs habituels de départ. Jus. Il est, en ce moment, 9 heures. Tous les véhicules du Régiment sont placés en un grand cercle divisé en 4 rames. Tout le monde est en canadienne, car le temps est menaçantet froid. Nous allons partir…

Avant le départ, il y a eu rassemblement de tout le Régiment. Le Commandant nous a dit quelques mots au point de vue de la tenue et surtout de la conduite pour tous les conducteurs. Il est 1 heure ¼, nous venons d’avoir la grande halte pendant laquelle nous avons mangé. Ce matin, nous avons traversé la ville de Rugby. Nous sommes passés près du marché, il y avait une animation formidable, car on en finissait plus de faire des signes.

A ce moment, je rêvasse, couché sur le gazon du talus. Ce matin, au volant, je pensais un moment que cette longue file de véhicules lancés à toute vitesse, représentait bien la délivrance se précipitant vers la France. Durant l’après-midi. je suis resté 3 fois en panne : Carburateur sale. En nettoyant la 1ère fois, je me suis brulé avec l’échappement. J’ai laissé tomber le joint sur l’échappement qui s’est brulé. Il a fallu attendre le dépannage pour avoir un autre joint. J’ai pu rattraper le convoi et bien terminer la route. Par moments, je montais jusqu’à 45 miles. Je croyais que tout allait casser.

Nous sommes arrivés à Bournemouth à 11 heures du soir. Tous les véhicules ont été garés dans un grand port, puis les camions nous ont transportés en ville, entassés comme des moutons, et nous ont déposés dans des villas. Tout le Peloton couché dans une pièce. où des lits à étages, très souples. Nous sommes ébahis de notre confort. Nous avons : Salle de bain, balcon, jardin, le tout donne vue sur la mer. De vrais rentiers, Quoi. 

Dimanche 24 juillet 1944 : Levés à 9 heures, nous avons fait une sérieuse toilette. Après le jus, nous avons tout nettoyé. Puis nous avons préparé un réfectoire qui est mal foutu. D’ailleurs. il n’y a pas assez de places pour tous, car ça se tient dans le garage. Nous avons mangé très tard, puis, encore nettoyage. A 6 heures, nous sommes sortis. La ville est très grande. Nous avons soupé dans un grand restaurant, puis nous avons repris l’autobus à 9 heures. En ce moment, il est 10 heures. J’écris en pantoufles et en pyjama.

Lundi 25 juillet 1944 : Sale journée. J’ai travaillé comme un nègre : De jus, de soupe et de chambre. En plus, toute la journée, travail au parc sur les voitures. Nettoyé surtout les réservoirs, pleins, etc… A 7 heures, je suis sorti me promener et prendre des tickets de bal pour demain. Nous avons touché les calots de tradition bleu et jaune. Fifi  a rencontré un de mes copains, j’espère le voir demain.

Mardi 26 juillet 1944 : Même topo qu’hier. Les Dodges nous ont emmené au parc, où j’ai bossé comme un nègre toute la journée sur et sous la voiture. A la soupe hier, le chef comptable m’a donné un petit avertissement, parce qu’il m’avait entendu malmener SCHWALM qui l’avait salué au cours d’une rencontre en ville. Après la soupe, je suis allé au bal avec BOURRETTE où j’ai trouvé Fifi. Nous avons été très content de nous voir et avons blagué comme des concierges.

Mercredi 27 juillet 1944 : Toute la matinée : Repas, lavage etc… Cet après-midi, je dois sortir en perm. Je me suis engueulé avec un Margis parce que j’avais oublié l’appareil à charger la mitraillette au parc et parce que je lui ai rapporté avec du retard, car il devait rendre le tout. Je ne me suis même pas mis en colère. Je suis resté tranquillement à la villa à laver, coudre et bricoler.

Vers 10 heures, nous avons fait une formidable belote vache. L’Algérie ( BOURRETTE, moi) contre le Maroc ( BAYO, GIANNI) où l’Algérie a gagné, non sans nombre jurons à l’appui. Tout le monde s’est couché à 12 heures en riant et en chahutant comme des fous, car la majorité n’aime pas les beans et ne peuvent pas sentir leur odeur. Comme BOURRETTE et moi en avons ouvert une boite, aussitôt, MARTIN et GIANNI ont fumé d’horribles et imposants cigares qui nous font fuir à toute vitesse. La chambre ressemblait à un sous-marin en détresse.

De plus, SCHUMANN a une touche. Aussi, il était considérablement excité. Par-dessus tout cela, MARTIN et moi qui ne nous entendons pas actuellement, nous disputions. Bref, vous voyez d’ici le tableau. Il a fallu que le Brigadier JACQUETY nous menace de la consigne pour nous faire taire.

Jeudi 28 juillet 1944 : Le matin, le chef nous annonce qu’il y a défilé ce soir, aussi nous avons toute la matinée pour laver les équipements, coudre les écussons, etc… A partir de 11 heures, je n’ai jamais travaillé si vite. Tout le Peloton était affolé. Nous avons touché l’armement dans les caisses et entièrement graissé. Ce n’est pas une petite affaire de dégraisser une arme. De plus, j’étais de soupe. La villa ressemblait à une arène de corrida. Tous les escaliers gémissaient sous les pas des types qui montaient et descendaient à toute vitesse. Enfin, à 1 heure ½, hors d’haleine, j’avais réussi à nettoyer la carabine, laver les plats et les tables, me laver, me raser et m’habiller.

A 2 heures, le Lieutenant arrive et quelques mots : «  Pour la tenue, c’est très bien  ». Nous rejoignons l’Escadron. Nous sommes en tête. Peu après nous partons et nous défilons dans la rue durant une demi-heure, l’arme à la bretelle. Nous arrivons dans un grand parc où les autres Escadrons nous attendent sur une magnifique pelouse. Nous formons le carré et le Commandant arrive. Un discours sur le combat très prochain, puis, nous apprend la raison de cette Prise d’Armes.

C’est la remise de l’insigne de la Division. Cela représente un blason avec la France et la Croix de Lorraine, le tout or et bleu. Le Commandant épingle l’insigne sur les représentants de tous les Pelotons. Puis, les Chefs de Peloton l’épingle à leur tour sur leurs hommes. Puis, nous sommes revenus toujours au pas cadencé.

insigne 2 DB

En arrivant à la villa, le Chef me dit que je remplace un indigène fatigué à la garde de ce soir. Je fais la grimace et je me prépare. A 5 ½, nous partons en Dodge pour le parc à véhicules. Nous sommes 4  2ème Classes et un Brigadier. Jusqu’à 11 heures, j’ai écouté la musique avec un copain dans un Half-track des Transmissions. Puis, je me suis couché. J’ai pris la garde de 3 heures à 5 heures. J’avais sommeil. J’ai fumé sans arrêt, puis j’ai discuté avec la sentinelle de l’Escadron voisin.

Vendredi 28 juillet 1944 : Je suis revenu à 8 heures en Dodge à la villa où j’ai préparé ma revue d’armes durant toute la matinée. A 12 heures, l’ordre de départ pour le lendemain nous est donné. Durant tout l’après-midi, nous préparons nos sacs, et à 5 heures, nous les portons aux voitures où nous les arrangeons en même temps qu’un tas de fourbi que nous avons touché au dernier moment, notamment des vêtements anti gaz.

En revenant, je m’habille, car je suis de garde au P.C. du Commandant. A 8 heures, nous prenons la garde. Le Margis est du Peloton, le Brigadier-chef, un copain. Je prends la 1ère de 8 à 10 heures, pas ennuyeuse. Je rends les Honneurs aux Officiers assez souvent. A 10 heures, je  suis relevé. Je vais chercher mes couvertures et termine mes préparatifs, puis je dors sur les deux. Je commence à en avoir l’habitude.

Samedi 29 juillet 1944 : A 5 heures, nous partons dans mon Peloton et c’est le branle-bas du départ. Le Chef gueule comme dans toutes les grandes occasions. Enfin nous arrivons au parc en Dodge, et c’est une nouvelle suée pour charger définitivement la voiture, car on a touché d’autres filets de camouflage.

Enfin à 9 heures, tout est paré, nous partons un peu en dehors de la ville. Nous nous arrêtons. Tout le Régiment ne forme qu’une seule et interminable colonne. Nous attendons 11 heures ¼, heure à laquelle nous devons partir, car sur toutes les routes, il y a des convois. Nous venons de casser copieusement la croute. Nous avons démarré à 11 heures, et vers 2 heures ½, nous arrivons à Dorchester. Toutes les rames du Régiment sont placées dans des rues différentes. Nous avons mangé sur le trottoir, puis avec nos couvertures et nos musettes, conduits par des Américains, nous avons gagné à pied des grands baraquements en ciment, où nous sommes tous mélangés, hommes et Sous-offs. Les Offs, eux-mêmes, sont dans des chambrettes.

Je viens de me laver, car il y a des lavabos. Je vais dormir un peu. A 5 heures, je suis arraché du doux pays des songes par les cris : « A la  soupe ». Tout le monde a fait la queue la gamelle à la main. Nous avons mangé dans un grand réfectoire. Après la soupe, nous avons eu au cinéma un film très comique, puis j’ai joué un peu au ping-pong.

Dimanche 30 juillet 1944 : Levé à 6 heures ½. Une queue formidable pour le jus, car il y avait l’Artillerie qui voyage avec notre Régiment. Durant toute la journée, j’ai fait de terrible matchs de ping-pong, notamment l’un où je représentais le Régiment avec un copain, contre 2 types de l’Artillerie ; nous avons gagné. A 1 heure, les conducteurs, nous partons présenter les voitures et nous allons nous placer dans une rue voisine. Ensuite, tout le Peloton est venu. En ce moment, tout est paré. La rame du même bateau est prête.

Nous attendons le départ et nous tuons le temps en jouant aux cartes sur le trottoir. Les habitants nous offrent du thé et des gâteaux de tous les côtés. A 6 heures, brusquement, nous partons. Nous roulons à petite allure, à 5 mètres les uns des autres. Nous arrivons à Weymouth, port de mer, et que nous dépassons pour s’arrêter dans un parc, près du port de guerre, où une infinité de L.S.T. y est aligné Toutes les rames sont alignées, depuis le jeeps jusqu’aux chars. Les Américains passent en camion et nous jettent nos bouées de sauvetage.

Il est 7 heures ½. Tout d’un coup, un grand cri général : « Au feu ! ». Un Dodge, des anti-chars commencent à brûler. Sans réfléchir, et Dieu sait s’il est difficile de quitter ma place lorsque je suis coincé entre le volant, la portière, la musette, le masque et le levier de treuil. J’attrape l’extincteur, tout vole, casque, musette, portière, et j’arrive en sprint dans les 3 ou 4 premiers sur le lieu de l’incendie, et là, je joue de l’extincteur à cœur joie, car ça ressemble à une arme. Il y a une gâchette et un cornet qui fait canon. Le feu est vite maitrisé. Tout d’un coup, un type dit sur le toit : « Ça recommence ». Faisant tremplin avec la voiture immédiatement derrière, je saute sur le toit, je tire et je reçois un jet en pleine figure. Un autre feu était monté par devant et un gangster et un flic ne se seraient pas mieux ajustés, Enfin, le feu est définitivement éteint. La pompe américaine arrive à toute vitesse, mais c’est déjà trop tard. Le camion n’a pas souffert, juste le filet de camouflage en a pris un petit coup.

Je reviens à la bagnole. MARTIN avait essayé de sortir de la rame, mais il n’avait pas de place. Il avait juste pu reculer un peu. Nous cassons la croûte. D’autres rames arrivent. Tout d’un coup, le haut-parleur annonce la rame 1117. Moteur en route, c’est l’affolement. Les casse-croûtes volent, les musettes aussi. Enfin, je réintègre ma place, je mets en route et je démarre. Nous traversons le patelin, il y a un monde fou sur les quais. Les L.S.T. sont tout près, tout le devant ouvert. Je vois que je dois monter sur le pont. Le pont levis fait au moins 45° de pente, et c’est en marche arrière que l’on doit rentrer. On va s’amuser,

Je regarde un peu anxieux un Half-track qui monte, qui redescend, qui stoppe, qui remonte, enfin qui se fait des nœuds, car quand ça redescend, il faut freiner de suite. Tous les Officiers principaux du Régiment sont là, car c’est le bateau des Pelotons de l’Etat-major. Vlan, une jeep vient de redescendre brutalement de 4 m et a tamponné celle de devant. Ce n’est pas grave.

C’est le tour de SCHUMANN. Il commence à grimper, ça ne va pas. Il redescend, il cale, il repart. Enfin, après 3 tentatives, il monte. Le cinématographe l’a filmé, Il aurait pu m’attendre, l’animal. C’est mon tour, mon Margis est un peu pâle et me fait les dernières recommandations. Je me place devant la porte, je commence à faire marche arrière. Je suis calme. Mon amour propre, et j’y tiens, est en feu. Je mâche mon chewing-gum. Je monte, je monte. Stop, c’est de travers. Le temps de lâcher l’accélérateur, la voiture commence à descendre. Je freine tellement sec que je cale. Le frein à main. Je remets en route. J’accélère. Je lâche le frein doucement. « C’est droit » me fait signe le Margis. J’appuie à fond. Un grondement formidable, car je suis en réducteur et en 2 secondes, Je suis en haut où tous les types qui regardaient, se débinent dans tous les azimuts. J’arrête.

Un Officier américain me guide et, toujours en arrière, je gagne ma place sur le pont. Tout est fini. J’entends des soupirs derrière, tant l’équipage de la voiture respire. Je vais voir BAYO qui suit. Il a un tas de difficultés. Ils étaient au moins 15 à le guider. enfin, il y parvient. Ensuite, j’ai attrapé une suée formidable pour amarrer la voiture avec des chaînes spéciales.

Puis je gagne le dortoir. Tout est très étroit là-dedans, on dirait un sous-marin. Les couchettes sont comme celles du « Capetown castle ». Une fois mes affaires en ordre, nous cassons la croûte. Une de mes rations K, puis je sors sur le pont. Je rencontre le Père, je discute, je me confesse, et je vais me coucher.

Lundi 31 juillet 1944 :  Réveil 7 heures. Nous allons au jus. Le bateau lève l’ancre. Je mets mon jus de côté et je vais à la messe. Le cinéaste a filmé beaucoup de passages de celle-ci, manque de pot, je ne suis pas lavé, j’ai les cheveux en bataille et je n‘ai pas mes guêtres. Ensuite, je me lave avec délices, douche chaude. Je me rase eau chaude également…

Nous avons passé la matinée allongés comme des lézards sur les voitures et sur les bâches. A 12 heures, la soupe très copieuse et excellente, puis j’ai fait une sieste formidable jusqu’à 5 heures ½. Je me suis levé, car on aperçoit les côtes de Bretagne. A 6 heures, soupe. Puis les jumelles à la main, nous  regardons les nombreux bateaux que nous croisons dans tous les sens.

Nous contournons le Cotentin vers le Nord, puis nous avançons dans une rade. La T.S.F. du navire joue sans arrêt des slows délicieux. Tout le monde est de bonne humeur. Vers 9 heures, nous arrivons tout près de la terre. On ne peut plus compter les bateaux. qui tous ont leur saucisse au-dessus des sourds grondements de D.C.A., se suivent avec des ronronnements d’avions.

Des Libertis déchargentdes véhicules sur des chalands. Des vedettes, des péniches, des amphibies passent dans tous les sens. C’est vraiment intéressant. Nous sommes à 200 m. du rivage. Le bateau fonce, fonce, une secousse, deux secousses, trois secousses, nous sommes échoués. Nous préparons les paquetages et voitures, puis, je regarde tous les véhicule de la cale débarquer. Il y a à peine 50 cm d’eau, car on a attendu 2 heures du matin, moment où la marée redescend sérieusement. Les chars passent d’abord. « Moteur en route pour le pont », gueule le Haut-parleur.

HT LST

Un Half-track du 12ème R.C.A. descend d'un L.S.T.

Je file à la voiture. Le pont-levis se baisse, c’est plutôt impressionnant, car il y a au moins 20 à 45°, et en bas, un petit saut de 50 cm. jusqu’au sable. C’est mon tour. J’avance, heureusement qu’il y a clair de lune, car avec les black-out, on voit que dalle. Je descends. Même en réducteur, je dois freiner. En bas, le pare chocs touche le sable, mais je fonce sur la plage vers la lanterne. Puis, c’est le sable durant 600m. Je suis obligé de rester en réducteur. Enfin une route. l’endroit où l’on doit aller est à 8 Kms. Les black-out étaient trop forts, on doit les éteindre, il ne reste que les veilleuses. Je ne vois pas grand-chose, et je me promène d’un fossé à l’autre sous les yeux anxieux du Margis et de MARTIN, qui debouts dans la voiture me guident par des « à droite » et des « à gauche » plutôt anxieux qu’ impérieux.

Nous passons près de trous d’obus, un village, des maisons démolies. Tout d’un coup, les feux rouges de BAYO qui est devant, s’éteignent par 2 fois. Je freine, pile. Un peu plus loin, un GMC se place  devant moi. Je perds 200 m. C’est terrible la nuit. En 4ème, je fonce, on croise un GMC de justesse. Un autre  encore plus juste. Le Margis s’arrache les cheveux, j’ai tendance à rester au milieu. L’habitude de la gauche en Angleterre. Enfin on rattrape le convoi, et enfin, après 2 heures ½  de route arrive au staging où il y a déjà beaucoup de rames.

Je foule la terre française avec ravissement, j’ai envie de l’embrasser. Nous déplions les filets de camouflage, et c’est la 1ère nuit, ou plutôt ce qui en reste, à la belle étoile. Le matin, c’est le grand branle-bas. Des rames qui se forment, des véhicules se déplacent, les uns se lavent, les autres se font le jus sur les réchauds que nous avons touchés dernièrement. Puis, nous préparons la voiture, car les filets doivent bien tenir au-dessus en permanence. Nous sommes restés toute la journée au même lieu. Nous avons reformé les rames, on ne pouvait pas passer, car les voitures se touchaient, et il y avait à peine 1 m. entre les rames. Une fois les moteurs révisés, j’ai vadrouillé avec les copains.

Durant la nuit, nous avons débarqué à Fort St Marcouf et l’area était contigu avec St Germain de Varréville. Nous sommes allés d’abord dans une ferme où la fermière ne pouvait plus parler tellement elle discutait avec tous les arrivants. Nous avions du lait, du Calvados pour rien naturellement. Le fermier ressemblait à un porte manteaux tellement il avait les poches pleines de cigarettes. Les gosses étaient gavés de chocolat et de bonbons. Puis, nous avons fait un tour au village. Ça discutait à toutes les portes et ça buvait dans toutes les maisons. A 4 heures, l’aumônier des Spahis a dit une messe au village. Un Américain a photographié le groupe où j’étais. A 9 heures, notre rame, la 1ère, s’ébranle. SCHUMANN qui transporte le Lieutenant, passe derrière. Je suis derrière un Dodge à remorque et je remarque avec une affreuse grimace que ses feux rouges ni le stop, ne fonctionnent pas. Maintenant commence vraiment des moments dont je me rappellerai toujours.

Je suis la 1ère voiture de la rame à avoir un petit drapeau sur le phare. Dans tous les villages on nous acclame. Nous passons pour des Américains, mais quand ils voient le drapeau, alors le montrent du doigt avec stupéfaction, puis, quand on leur crie qu’on est Français, c’est du délire. Au 2ème village, je ne sais comment les gens sont avertis que pour une fois, ce sont des français qui montent en ligne. Il y a foule sur les trottoirs, les fleurs pleuvent sur les voitures. Tout le monde gesticule. A un virage, je ne sais pas comment  je n’ai pas écrasé personne.

Bientôt, nous nous arrêtons, car un formidable convoi américain de chars passe aussi. Pendant ¾ d’heure, nous prenons de la poussière « En veux-tu, en voilà ». Nous traversons St Sauveur le Vicomte, Pont- l’Abbé. Il y a vraiment beaucoup de cailloux dans ce chemin. Puis éclate une bagarre entre mon Margis et le chef de voiture du Dodge de devant à cause des feux rouges, car il fait nuit, et ça fait 2 ou 3 fois que je freine, pile. Finalement, la question est réglée. Je passe ma lampe à un type qui l’allume dès que l’autre freine, freine brusquement. Bien nous a pris, car 5 minutes après, je venais de passer la 4ème, quand une lueur, le coup de frein, tout le monde gueule, même BAYO derrière qui a vu mon feu rouge un peu tard.

Jusqu’à minuit ½, c’est comme ça. Par moment, c’était une belle route goudronnée. Ça gazait. Encore, nous avons fait 2 Kms sous bois où j’avoue que je marchais un peu au petit bonheur et assez vite encore. J’ai eu des félicitations pour m’en être tiré à si bon compte. Nous nous plaçons dans des champs, pas trop haut, près des haies dit le Lieutenant. C’était encore miné, il n’y a pas longtemps. Nous sortons ce brave filet de camouflage et au lit, roulé dans les couvertures.

2 août, mercredi : J’entends vaguement un clairon. J’ouvre 1 œil, 2, Je regarde la montre, 9 heures. pas mal. Ça roupille dans tous les logements. Durant toute la journée, j’ai travaillé comme un nègre : Nettoyage de la voiture, révision du moteur, camouflage savant de la voiture. On accroche les filets aux arbres, puis on les fait tomber en pente à 3 ou 4 mètres de la voiture. Transformation de la boite chargeur de la mitrailleuse pour que la bande y entre entière.

Vers le soir, j’ai aidé le Lieutenant à faire un fourbi de visée au télémètre. J’ai fait un tas de calculs. J’ai collé des trucs et pris des mesures. et je n’ai compris qu’une heure plus tard. Pour la soupe, c’est réglé, biscuits et beans. A midi, nous avons eu de la semoule sucrée, et le soir, des pommes de terre en robe de chambre. Le pain me manque tellement, mais je mange quand même comme 4. Avec le Margis, nous faisons toujours quelque chose avec le réchaud : Café, chocolat, pommes de terre et autre.

Pour demain, MARTIN a promis un bon repas. Il a fait une virée dans le champ et est revenu avec une cargaison de pommes de terre, haricots, choux, fèves, petits pois, etc …Je ne désespère pas qu’ll ne revienne un jour avec une poule ou un lapin. Après la soupe, tous les jeunes armes et casque complet, car c’est obligatoire maintenant, nous sommes partis visiter les alentours, théâtres de durs combats, maisons démolies et brulées, trous individuels. Partout des affaires boches abandonnés et des restants de casse-croutes américains. J’ai rapporté une grande V B encore intacte que le Lieutenant m’a fait planquer avec reproche. Je vais dormir, partout des types allongés sous les filets autour des réchauds, attendant un café ou chocolat bienfaisant.

Jeudi 3 août 1944 : J’ai fait un tas de bricoles toute la journée. Tantôt avec la voiture, tantôt avec les paquetages. J’ai mangé comme 4, un tas de fourbis qu’il y a dans les conserves américaines. Après le déjeuner, nous avons eu théorie et exercice pratique sur le télémètre. Après la soupe, nous avons joué au rugby et au foot. Je suis claqué…

Vendredi 4 août 1944 : J’ai encore bricolé toute la journée, surtout de la couture, car maintenant, les 4 voitures, nous avons un petit fanion spécial pour les mortiers qui représente un obus sur fond bleu, avec bordure jaune. Nous avons un type en plus au Peloton. Un Corse, FORENZI, que je connais très bien. Il est radio sur la 1ère voiture et GIANNI est passé radio du Lieutenant.

A 11 heures, le Capitaine de PARCEVAUX, Officier de Renseignement du Régiment, nous a fait un petit speech sur le secret en guerre et des recommandations avec les prisonniers, soit pour nous, soit pour les ennemis. A 12 heures, j’ai mangé comme 6. C’est vraiment un fameux repas qu’il nous a donné et qui m’a rappelé les bons repas de Fimber où nous avons profité du poulet rôti. Je suis resté couché sans pouvoir bouger jusqu’à 2 heures, moment où nous sommes allés essayer le rocket gun. Les radios ont tiré. Ça ne porte pas loin, mais c’est assez précis et pas dangereux pour le tireur. Il faut faire attention à la flamme arrière par exemple et qui sort jusqu’à 6 m. du rocket.

Le soir à l’appel, on nous a lu une lettre du Général LECLERC, toujours le même thème. Il faudra se montrer digne au combat. Après la soupe, j’étais en train de coudre ce sacré fanion quand on entend un coup de feu du côté du P.C. Etonné, on lève la tête quand un type sort en courant de l’Half-track du Capitaine, en appelant l’ambulance. C’était un Brigadier-chef qui s’était foutu une balle dans la tête en nettoyant sa mitraillette. Je me précipite avec 2 ou 3 autres. On sort le corps de la bagnole, le sang gicle, car la balle est entrée entre les 2 yeux. Le médecin arrive, mais il n’y a rien à faire. Bientôt, l’ambulance emmène le cadavre. On n’a pas pu savoir si c’était un suicide ou un accident, Cela m’a fâcheusement impressionné et j’ai mal dormi. 

Samedi 5 août 1944 : Grand branle-bas de départ. A 2 heures, nous formons les rames, puis, contre-ordre, nous ne partons que demain matin. On s’installe comme on peut dans les champs de pommiers voisins. Le soir, nous nous sommes endormis parmi les arbres et les chants d’harmonica. 

Dimanche 6 août 1944 : Je me réveille à 5 heures ½. J’appelle les copains, personne ne bouge. Je m’habille, quelques-uns s’étirent. Tout d’un coup, un grand cri : « Moteur en route ». Oh ce branle-bas. Le lieutenant qui était encore en caleçon, en un clin d’œil, tout vole en vrac dans la voiture. Les types se croisent et recroisent, on se trompe de casque. Le moteur ne veut pas se mettre en route.

Enfin, on démarre en trombe. Manque de pot, la rame est déjà loin et le 1er Escadron se place entre nous. Nous devons suivre les lights jusqu’à 9 heures du matin. Pardon pour la poussière. Maintenant, nous approchons vraiment du front. Tous les 100 m. des chars démolis, des camions brulés, des cadavres même, ne parlons pas des villages qui ne sont plus que des tas de cailloux. Nous passons toutes les rivières sur des ponts faits par le Génie, et pourtant, les mêmes acclamations délirantes dans tous les patelins. Notamment les longs de Coutances et d’Avranches.

A 2 heures, nous bricolons et tout l’après-midi, j’ai travaillé comme un nègre à réviser la voiture et à la nettoyer. Nous entendons l’Artillerie et parfois la D.C.A. au lointain. A 10 heures 1/2, tout le monde était roulé dans ses couvertures, quand nous entendons des avions boches. Aussitôt, la D.C.A. les mitrailleuses, et tout le ciel illuminé.

Ça a duré pendant 1 heure. Nous étions sous le voitures à cause des éclats, car les avions passaient et repassaient juste au-dessus de nous pour bombarder les patelins et notamment un barrage pas loin de nous. Dans l’ensemble, nous avons beaucoup plus ri que nous n’avons eu peur. Il y a eu 2 ou 3 autres alertes dans la nuit. A la fin, j’ai gardé les couvertures sur la tête et j’ai roupillé quand même.

Lundi 7 août 1944 : Réveil 5 heures. Préparatifs de départ, puis nous attendons. Il y a un brouillard formidable. Nous avons attendu toute la journée. Nous nous sommes ravitaillés dans une ferme et nous avons fait un formidable repas avec pain beurré, pommes de terre en robe de chambre au beurre, pommes de terres rôties, et enfin, omelette aux pommes de terre. Après un délicieux café, j’ai fait une sieste vraiment reposante.

Puis le Lieutenant nous a réunis à 3 reprises, pour nous faire des recommandations. Il y en a toujours avant le combat. A la soupe, nous avons touché 2 jours de vivre. Le Lieutenant nous réunit : Tout est changé, les Allemands ont contre-attaqué. Il y a 1 Division Blindée et 1 Division de Parachutistes SS vers le Nord-Est. Nous devons prendre les dispositions immédiates de combat, car ils ne sont qu’à 10 Kms.

Nous sommes tous très excités, frémissants et impatients de partir. Le 3ème Escadron et les chars de commandement, les Spahis et le R.M.T. sont déjà partis. Nous avons camouflé soigneusement les voitures, si bien que l’on ne va pas les retrouver dans la nuit.

Brusquement, à 8 heures ½, le Lieutenant nous fait mettre en batterie. 2 dans le pré où nous sommes face à la direction de la contre-attaque boche, puis nous camouflons les voitures encore plus soigneusement que tout-à-l’heure. La D.C.A. s’énerve de temps en temps, l’Artillerie canarde. Enfin, c’est le baroud qui commence.

Des gens passent avec des charrettes et ce qu’ils ont pu emporter. Il est 10 heures, je me couche. Ce soir, pas de filet, tout équipé et une couvertures, car il faut être prêt à décamper en vitesse. Je n’ai pas passé une mauvaise nuit. Tout le monde, Margis compris, a pris 1 heure de garde, sauf les conducteurs. Je ne m’en suis pas plaint…

Mardi 8 août 1944 : La journée a été très calme, juste le roulement du canon au loin. Durant la matinée, j’ai travaillé sur la voiture. J’ai fait une petite transformation électrique pour pouvoir allumer le tableau de bord sans rien allumer d’autre. Après 2 ou 3 court circuit, j’ai trouvé quand même, mais du coup, j’ai une veilleuse qui ne marche pas. Je me suis énervé pendant 1 heure, mais elle ne marche toujours pas. Je la laisse comme ça, car elle est à droite.

Nous nous sommes fait un excellent repas et avons discuté très plaisamment autour du café. J’ai vraiment gouté le calme et la pause de ce coin là, surtout que le Peloton est seul dans un pré. Chaque pièce mange et discute derrière son camouflage. J’ai fait une sieste formidable et ne me suis levé qu’à 4 heures ½. car il faut se préparer à partir dans une heure.

Les chars d’hier soir sont rentrés sans combattre, car les Américains n’ont pas voulu engager les Français à cet endroit, ni à ce moment. Je dormais comme un loir quand l’ordre de départ fut donné à 5 heures ½ pour 6 heures ¼. Aussitôt, branle-bas, puis, dès les rames formées, nous démarrons cette cavalcade a été splendide.

Plus ça va, plus c’est magnifique, car les gens savent que l’armée de de Gaulle va passer. Tous les patelins sont pavoisés. Il y a quelques Croix de Lorraine. Les rues fourmillent au point qu’on peut tout juste passer. Par moment, c’est du délire. Les fleurs pleuvent sur les voitures. Toute notre NAAFI cigarettes bonbons, chocolats, etc…volent par-dessus les uniformes et les vieux installés au 1er rang, jusqu’aux enfants et autres.

Il y a un brouhaha terrible des cris : «  Vive la France, vive de GAULLE ». Là, les cloches sonnent, au prochain village on chante la « Marseillaise », tout le monde est galvanisé. On nous offre de tout au passage : Bouteilles, œufs, beurre, etc…MARTIN rafle une bouteille au vol et nous dégustons ce cidre excellent immédiatement. Au long de Vitré, cela devient une apothéose. Nous sommes obligés de nous arrêter pour laisser passer un convoi.

Malheur , les gens envahissent les voitures de tous les côtés. On serre des mains, on embrasse des jeunes filles, et les questions pleuvent en même temps, tant que les recommandations : « égorgez tous les Allemands, bonne chance, etc… ». Le P. C. R. est sur les dents. Les coups de sifflets stridents dans l’air, les moteurs, les klaxons les cris; on réussit à démarrer. Je traverse tout le bourg sans savoir ce que je fais. Je change de vitesse au petit bonheur. Je serre une main, je passe en 4ème, je cueille une fleur, je remonte en 2ème, je fais des signes, je me trouve en 3ème, enfin, c’est la campagne, on fonce. il fait nuit.

Comme la rame a été séparée par l’embouteillage, ceux-ci nous attendent à 5 Kms de là. A 40 miles, je leur arrive dessus, car je suis en tête. On s’arrête. Il y a des femmes en face. Et je t’embrasse, et je bois du cidre et je prends du beurre. 3 coups de sifflet, et on repart au milieu de hurlements et malgré le moteur, je crois comprendre qu’il est question de de GAULLE. Il fait nuit noire depuis longtemps, mais on nous harcèle toujours dans les patelins. Nous arrêtons à 11 heures. 2 heures de repos.

Je crois dormir sur le talus, mais il faut faire les pleins, et dans le noir, c’est un poème. Je me rendors. Il faut remplir les nourrices. Je me recouche. Il faut rendre les nourrices vides. Enfin, je m’endors. Vlan, on démarre, il est 3 heures du matin. Je n’ai pas pu dormir. On traverse beaucoup de patelins, mais comme nous avons changé de direction, la rame ne nous attend pas. Nous trouvons seulement des types de la résistance qui montent la garde dans les carrefours.

A Château-Gontier, un arrêt, car il faut passer sur un pont construit par le Génie. Vers 5 heures du matin, je suis claqué, mes yeux se ferment malgré moi. Je ne sais plus comment on assure malgré le Margis qui, aussi claqué que moi, me guide. La voiture se balade de droite à gauche. J’ai mal aux yeux à force de fixer les points rouges de la voiture précédente. Enfin, le jour pointe. Le sommeil me délaisse doucement. La route se distingue beaucoup mieux. L’allure augmente.

Nous arrivons à Sablé, il est 6 heures du matin. Nous nous arrêtons en pleine bourgade, car il parait que le pont est démoli. Quelques fenêtres s’ouvrent, des sourires On nous prend pour des Américains. Tout d’un coup, comme une trainée de poudre : « ce sont des français » tout change alors, et sur les trottoirs, c’est des serrements de main et des causettes avec les habitants pour la plupart en chemise de nuit.

Puis, comme l’arrêt se prolonge, petit à petit, tout le monde est là. Les déshabillés vont s’habiller. Nous faisons un brin de toilette. Et du Commandant jusqu’aux indigènes, on discute à grands renforts de gestes,  et les offrandes de pleuvoir. Sans savoir comment, je me surprends dégustant 2 œufs frais avec du lait et du sucre. Sur le coffre radio tronnent 2 bouteilles de cidre. Sur un siège avant, il y a une bouteille de Champagne. A l’arrière, un lapin. Dans tous les coins du pain, au milieu, du beurre et des œufs. Bref, l’épicerie n’est pas mieux fournie. Des jeunes filles avancent avec un appareil photographique à la main. On prend des photos, puis à 9 heures, on repart toujours sous les acclamations.

Mais on ne vas pas loin. On se camoufle dans les prés voisins, en attendant je ne sais quoi. car il y a à peine 2 jours que les boches ont décampé d’ici. Jusqu’à midi, je révise la voiture pendant que le reste de l’équipage prépare un de ces repas qui me laisse, 1 heure après l’avoir ingurgité et dilué d’un délicieux café, les idées plutôt lourdes et l’esprit vaseux, il est 1 heure et tout le monde roupille. Je vais m’allonger, car j’en ai besoin. J’ai mal dormi jusqu’à 5 heures, puis nous avons démarré à 6 heures.

Toujours les mêmes acclamations, moins de ce côté, car ils ne nous attendent pas. Jusqu’à 1 heure du matin, nous avons roulé dans d’étroits chemins pleins de poussière, où la conduite était délicate et pénible. On roulait à 2 m. les uns des autres. Nous avons passé un pont sur pneumatiques. Nous avons fait des tours et des tours. Je ne sais si c’était pour se camoufler ou contourner Le Mans. A 1 heure, nous  nous sommes arrêtés dans un pré ou nous avons dormi tout habillé dans nos couvertures.

carte

Jeudi 10 août 1944 : Réveil 6 heures. Préparatifs de départ. Cette fois, ça a l’air plus sérieux. On place l’antenne, les ordres sont donnés par radio. Les chars partent devant nous. Vers  9 heures et demi, le voyage continuait splendide, le temps était merveilleux, quand arrêt brutal.

Ordre de baisser les volets. Je lève mes vitres, je ferme tout. 2 chasseurs boches passent sans plus. Nous repartons, nous reprenons de nouveau les bois, puis nous nous arrêtons. Nos chars bagarrent à 15 kms de là. Nous sommes tous suspendus à la branche du radio qui nous raconte ce qu’il entend. Il y a 3 chars détruits, l’infirmerie est demandée.

Bientôt, les Half-tracks de l’infirmerie nous doublent et bientôt, elles repassent. On y voit 2 types couchés et 1 assis blessé au bras. Le Peloton est placé juste derrière le Commandant. Nous attendons les ordres. Le Commandant demande l’Infanterie. Bientôt l’Artillerie nous double. Ça tape dans tous les coins, mitrailleuses et canons parfois, les obus miaulent tout prêt de nous. Un moment après, des chasseurs américains et durant 20 minutes, mitraillent et bombardent les boches, des balles sifflent tout près au-dessus de nous. Les anti-chars se mettent à tirer. Sur la droite, une jeep revient, ramenant un blessé léger au nez et 1 prisonnier.

Il est maintenant 12 heures, tout est calme, on ne sait pas ce qui se passe. A 5 heures, nous avons redémarré et en même temps qu’on le voit, on apprend ce qui s’est passé. Un 88 camouflé a mouché 3 chars de l’Escadron 4ème, qui arrivait sans méfiance. Nous doublons les 3 chars calcinés qui fument encore. Les cadavres des équipages tués sont dans le fossé, affreusement mutilés. Il y a 1 Lieutenant. Il y en a 1 qui est resté dans le char parce qu’on a pas pu le sortir. D’un autre côté, les bombes américaines ont atteint 1 moyen, et 1 lance-flammes boches a grillé, un light.

A 7 heures, grande halte. car les chars balaient la route devant. Nous repartons à 10 heures tout doucement. Bientôt, il fait nuit. C’est le front. Ça tire de tous les côtés. Les incendies des fermes et l’éclatement des obus illuminent le ciel. Je n’ai pas peur, mais j’avoue que je suis impressionné, car il parait que l’Infanterie boche est sur les côtés de la route et très gonflée. Tout le monde à l’arme à la main et scrute la nuit. J’ai mal aux yeux à force de fixer le chemin, car on marche tous feux éteints et je ne vois rien. Bientôt, nous allons stopper dans les champs. Il y a un fourbi terrible.

Tous les Régiments se croisent, s’entrecroisent, c’est miracle s’il n’y a pas d’accident, car avec les chars, c’est 1 problème pour doubler. Tout d’un coup, un char boche explose à 50 m., tout le monde s’est planqué dans la voiture, et le feu d’artifice et les détonations s’en donnent à cœur joie pendant 10 minutes. Enfin, nous arrivons à notre pré. Je ne sais comment, je franchis la barrière, car on ne voit rien. On s’arrête, je suis très fatigué.

Il y avait à peine 5 minutes que nous nous détendions, quand le Lieutenant arrivant et dit : " La 2ème et la 3ème pièce repartent avec moi. Il faut aller escorter le convoi de ravitaillement en essence et munitions". Et au départ, je suis derrière BAYO et on croise des chars et ça crache les mitrailleuses, les canons. Bientôt, on se dirige vers l’arrière et on fonce. Tout est calme par là, sauf les fermes qui brulent. Nous sommes aux alentours de Mezières-sous-Ballon. Nous nous arrêtons au carrefour pour attendre le fameux convoi, et on se couche sur le fossé, tout le monde sauf les conducteurs. Prends la garde. Je dors comme une souche. Durant la journée, les patelins délivrés étaient fous de joie, et des effusions et des photos et des fleurs. Là où ça barde, les gens s’enfuient avec des charrettes.               

Vendredi  11 août 1944 : A 5 heures ½, on nous réveille. Nous n’avons pas trouvé le convoi. On rejoint le front à toute vitesse. C’est la conduite la plus pénible que j’ai eu jusqu’à maintenant. Nous roulions à 30 miles. BAYO, seul devant voyait, moi derrière j’étais noyé dans la poussière. Comme c’était l’aube, les feux rouges se distinguaient mal, de plus la veille, nous avions relevé le volet blindé pour mieux voir. J’étais crispé à mon volant, la figure lardé de poussière, la bouche sèche, le nez bouché, un œil poché par de la terre infiltrée sous les lunettes. Je ne voyais plus la voiture de devant.

Enfin, après avoir failli s’égarer 2 fois, nous rejoignons le bivouac. Blanc  comme la neige, aussi bien l’auto que nous. A peine lavé, au boulot et il y en a : Nettoyage, coup d’œil au moteur, aux armes, pleins d’essence, ravito à toucher, bref, je suis de plus en plus claqué. Il est 8 heures. J 'ai juste le temps aller voir les derniers prisonniers arrivés, quand finalement on démarre, tandis que l’Artillerie fait siffler ses obus au-dessus de nos têtes, et il y en a ce matin.

Je suis de bonne humeur, je ne sens pas encore la fatigue où le manque de sommeil. Ce matin, nous sommes en tête du Régiment, juste derrière les Spahis. De temps en temps, nous nous arrêtons et les AM patrouillent dans les flancs. Il est 10 heures du matin, on roule encore, on s’arrête, et brusquement, ordre aux mortiers de tirer. Oh, ce branle-bas. On rentre à toute vitesse dans un champ voisin. On se place avec des bâches camouflées dans des bois.

Pendant 1 demi-heure, c’était l’enfer. Les 3 voitures étaient et sont encore tout près l’une de l’autre. Dans un champ voisin, les chars 105 tiraient aussi. A côté de la voiture, je me démenais comme un fou pour sortir les obus des boites et les passer à MARTIN qui les passait au chargeur. Le Margis debout sur le capot donnait les hausses, et ça allait vite de tous les côtés : Des hausses, des : « feux », des coups partis, des détonations. Tour d’un coup, un sifflement formidable, un obus boche passe à 3 mètres au-dessus. Instinctivement, tout le monde se baisse, puis en redouble d’ardeur. J’ai le visage en feu, couvert de poussière et de sueur. Je bouge la voiture car on change d’objectif, et ça retire.

Bientôt on s’arrête. Le bois est noyé dans la fumée. Le Commandant debout sur un Half-track proche donne ses ordres. A.100m, un 105 a été touché et brule. On a pu sortir les types légèrement blessés. Des Spahis blessés passent dans des jeeps.

Enfin, j’ai eu le baptême du feu. Nous mangeons et faisons un peu de café, puis nous allons nous replacer 1 Km plus loin. les Allemands contre attaquent. Aussi, il vient d’y avoir un barrage d’Artillerie. En ce moment, l’Escadron bombarde et mitraille tant qu’elle peut. Il est 3 heures. Nous sommes exactement sur la route d’Alençon, après le village de « Les Mées », en revenant vers le Nord. Jusqu’à 9 heures du soir, nous sommes restés dans un verger et nous avons pu, avec délices, nous laver dans un ruisseau. A 9 heures, nous préparons et au moment où nous étions arrêté dans le village « Louvigny », on entend des balles, puis une mitrailleuse qui tirent d’une maison. Bientôt, tout le monde se camoufle et tire à qui mieux mieux. Les chars légers envoient des 37. Bientôt, 2 moyens envoient des 75. 3 ou 4 maisons prennent feux. Les infirmiers bloqués en plein village se débinent en rampant. Bref, pendant 1 demie heure, il y a un méli-mélo extraordinaire.

Finalement, on a pu passer. Nous allons nous placer dans un champ tout doucement et feux éteints, car avec les destroyers et les armes, nous sommes aux avant-postes. Nous mettons en batterie, le tout avec une lampe affaiblie et une couverture sur la tête. Comme je n’étais pas trop fatigué, j’ai pris la garde à la mitrailleuse. De 12 heures à 1 heure ½, je ne savais pas quoi faire pour garder les yeux ouverts. De temps en temps, le canon tonnait, un avion passait dans le ciel. Quelques fusées nous illuminent parfois.

Samedi 12 août 1944 : Toute la journée, c’est une promenade. L’Artillerie tape. Nous nous arrêtons. Elle tape à nouveau, nous repartons, etc… A 2 heures, nous nous arrêtons dans un verger. Je me lave entièrement. Je change de linge avec délices. Patatras, on repart. Tout le monde est encore à poil, ça veut voler et crier partout. A 5 heures, nous traversons Alençon. Ce n’est qu’un amas de décombres.

A 10 heures du soir, il commence à faire bien noir, quand un avion boche passe et repasse. Tout est éteint et silencieux. Bientôt, l’Artillerie ennemie nous canarde. On prévoit tous les coups. C’est court pendant un quart d’heure, c’est long pendant le quart d’heure suivant, puis c’est tout près. Nous dégageons dans les champs. Bientôt, on s’arrête, on a eu un peu chaud.

On repart, il fait noir comme dans un tunnel, et pas le moindre feu rouge, la conduite devient un problème... et le Margis est perché sur le capot. Je rentre une fois dans le fossé et je touche un peu la voiture de devant. Enfin on arrive. J’ai un mal à la tête fou. On commence à se placer contre les bords, comme d’habitude, quand des avions boches arrivent. La D.C.A. canarde. Ils passent, repassent, et tout d’un coup, encore des fusées éclairantes. Nous restions un moment pétrifiés. On nous voit encore mieux qu’en plein jour. Défense absolue de bouger le moindre petit doigt, et 2 minutes après, naturellement, c’est le bombardement. Ce qu’il peut rentrer de types sous une voiture ! Ça se tassait et ça se poussait là en-dessous. Naturellement, je n’étais pas le dernier.

Près de là, tout l’Etat-major était planqué sous la voiture suivante, car le Commandant était en train de placer les rames. Pendant 10 minutes, ça pleut, heureusement, pas tout près, la terre tremble un petit peu, il y a des lueurs fantastiques, et toujours ces maudites fusées sur lesquelles, la D.C.A. tire en vain. Enfin, tout se calme bientôt. Nous camouflons soigneusement, puis nous nous couchons sous la voiture. J’ai dormi comme une masse. Nous avons été tranquille. Durant le bombardement, j’étais très calme. Je priais doucement.

Dimanche 13 août 1944 : Réveil 6 heures. Pleins d’essence, ravitaillement, etc… Puis nous attendons. Le Commandant est parti en char. Nous n’avons rien fait de toute la journée. J’ai dormi sans arrêt, juste pour manger. A 7 heures, nous sommes partis tranquillement en queue avec le P.C. Mais bientôt, dans la forêt, c’est un brusque demi-tour, et on recule se placer dans un champ, car ils sont assez nombreux.

Je m’engueule avec le Margis à tue-tête, car c’est un pauvre froussard et que je ne lui obéi que de temps en temps. Surtout que j’étais très énervé, étant resté en panne. Nous avons rejoint seul pendant 1 demie heure. Il était fou de se voir tout seul dans la forêt. On s’installe pour la nuit, puis vers 3 heures du matin, je me réveille et je n’arrivais pas à me rendormir.

Tout d’un coup, j’entends 1 balle, pause, encore 2 ou 3, et ça sifflait assez près. Bientôt, les nôtres répondent. Je gueule : « Alerte », et la mitraillette à la main, je m’aplatis le plus possible entre les galets, car ça siffle et ça ricoche en plein sur nos voitures. Je ne suis pas affolé, mais je tremble, pire, je suis secoué de soubresauts nerveux, sans pouvoir me maitriser. J’ai beau me crisper contre l’auto et m’insulter moi-même à tire larigot, je gigote toujours et ça siffle de tous les côtés.

Le Lieutenant gueule : « Prenez des grenades ». Cet ordre me calme et avec l’action, je me maitrise bientôt tout à fait. Je vais en renfort et du côté opposé aux balles. Je monte et je passe comme un paquet par-dessus le bord. Je prends des grenades et j’attends assis à ma place fermant tous les créneaux. Le Margis qui est monté sans en emener une, est recroquevillé dans son coin. Bing, une balle contre la portière, une autre ricoche sur l’anneau, bing, une sur le rebord, et ça siffle. C’est la pagaille complète. Des : « Halte aux feux », des : « Cessez-le-feu », des : « Tirez à droite ».

A 5 heures, tour se calme bientôt. Le Lieutenant part en reconnaissance avec son auto. Je me recouche. A 6 heures, on se lève et on apprend : 5 boches armés avec 2 mitrailleuses et des grenades à 30 m. à gauche des premiers chars, 4 sont tués et 1 prisonnier. Il y a 2 morts chez nous et beaucoup de blessés.

Lundi 14 août 1944 : Nous repartons à 7 heures au baroud, tous volets fermés, armés jusqu’aux dents. On observe les 2 côtés de la route. On roule doucement, les chars nettoient devant. La route est jalonnée de véhicules boches et de cadavres en piteux état. Nous traversons Sées, Il est 11 heures du matin. Nous arrivons sans encombre vers 3 heures à Mortrée. Tout le Régiment s’installe pour 1 jour ou 2, on dirait. Je révise la voiture et je dors. Je soupe.

On prend les dispositions pour la nuit. Tout est prêt en cas d’alerte. On blague et on rit avec Lieutenant, assez tard dans la nuit. On se couche vers 2 heures du matin. Des coups de feu 1 mitrailleuse, on saute sur les armes, mais ça se calme, ce n’est rien. Je me rendors comme une masse pour me réveiller à 8 heures et prendre un grand quart de chocolat avec des biscuits que OZEDOUCHE me sert au lit, un peu plats, mais enfin... Grande toilette. je lave un peu et je dors jusqu’à 12 heures.

Le Mardi 15 août 1944 : Déjeuner, puis je dors encore comme une masse jusqu’à 3 heures ½ où nous nous préparons pour être en état de partir, Nous ne sommes pas partis. A 6 heures, il y a eu une messe où il y avait beaucoup de monde. La nuit, il y a eu une alerte, mais ça n’a pas duré longtemps, Nous ne nous sommes même pas levés, car nous entendions les balles siffler, mais ça tirait loin de nous.

Mercredi 16 août 1944 : Réveil 8 heures. Bricolage toute la journée. Nous avons beaucoup discuté avec le Chef et avec franchise. Tout le monde s’est dit pourquoi on ne pouvait pas le voir à Témara. Enfin, on a bien ri . Avec mon Margis, je suis très froid. Nous nous sommes engueulés hier soir encore. Il me dégoute de plus en plus. Je voudrais bien changer de voiture.

A 8 heures du soir, nous avons changé de bivouac pour aller 500 m. plus loin. La soirée a été calme, la nuit aussi, à part un bombardement au loin. J’ai très bien dormi.

JMO 1

Extrait du Journal de Marches et d'Opérations

Jeudi 17 août 1944 : Réveil 8 heures. Chocolat au lit par les indigènes, puis à 11 heures, alors que j’avais tout mon linge étendu, on part précipitamment. Je mets tout dans mon camion. On traverse Montmerrei et on va se mettre à 4 kms de là, dans un magnifique verger. Qu’est-ce qu’on peut se mettre comme pannes depuis 15 jours !

La nuit, la voiture était de garde. J’ai pris la garde de 4 heures à 6 heures. La nuit a été calme, à part les batteries d’Artillerie qui nous réveillaient souvent par le bruit assourdissant qu’elle faisait à 100 m. de là. A la soupe, je me suis brûlé avec le réchaud, et j’ai toute la main droite bandée.

Vendredi 18 août 1944 : Le Margis en colère d’avoir été réveillé un peu brusquement, après m’avoir dit de me lever 2 ou 3 fois, m’a bazardé un bidon d’eau. Je sors comme un fou de dessous la voiture, et nous avons eu une engueulade d’une violence extrême, après laquelle, j’ai demandé le rapport du Lieutenant. A 9 heures, nous avons eu cours sur les grenades, puis après, je me suis expliqué avec le Lieutenant. qui, sans me donner pleinement raison, ne m’a pas donné tort et m’a dit que pour le moment, je ne pouvais pas changer de voiture.

Avec le Margis, nous nous disons le strict necessaire. La journée s’est déroulée calme et paisible. La nuit, j’ai très mal dormi, car l’Artillerie n’a pas cessé de tirer. Attentif, je m’amusais à écouter le duel entre l’Artillerie et les avions boches. La  1ère se taisait dès que les derniers ronronnaient au-dessus et tiraient après qu’ils s’éloignaient. Les zincs revenaient aussitôt, mais ne trouvaient que dalle.                               .

Samedi 19 août 1944 : Nous sommes partis précipitamment à 5 heures, pour nous garer dans un champ près des lignes. A 10 heures, nous partons au baroud avec le 4ème Escadron. Nous talonnons les boches sans arrêt. Nous mangeons en voiture. Il est en ce moment 12 heures ½, je crois que nous allons tirer, l’ennemi est à 2 Kms. environ.

Nous n’avons tiré que vers 6 heures du soir. Toute la journée, ça a baroudé dur. Après le tir, armé de jumelles, j’étais perché sur la plus haute branche d’un pommier, lorsque j’ai assisté au plus beau tir d’artillerie qu’on n’ait jamais vu. Ça sifflait de tous les côtés. Je voyais les coups tomber et bientôt, je vois disparaître entièrement le manchon boche sous ce bombardement infernal.

J’ai assez bien dormi malgré que l’Artillerie n’ait pas cessé de toute la nuit.

Dimanche 20 août 1944 : Réveil précipité à 5 heures. Nous allons nous poster. Je roupille jusqu’à 8 heures, puis je m’étais juste lavé et dégustais encore mon chocolat, quand on reçoit l’ordre de tirer : « en vitesse, en vitesse ». Ah, ça n’a pas trainé. Le volet était levé. Je passais les haies, les trous à toute vitesse et pourtant les portes sont étroites dans les champs. Je ne sais comment je m’arrange, je place la voiture pile dans la direction. 2 minutes après : « Aj bed », ça donnait. On s’est aperçu après que c’était une meule de paille qui brûlait. Mais c’est un détail.

En ce moment, il est 10 heures ½. On s’est tous replacé dans un champ et camouflé. Le 3ème Escadron se bagarre, l’Artillerie fait toujours miauler ses obus au-dessus de nous. Nous avons fait un petit tir à 11 heures, puis, après avoir vagabondé d’un pré à l’autre, nous nous sommes installés pour la nuit dans un grand pré.

Tout est calme et paisible à l’exquis. Muni d’un sac plein de morceaux de savon, je suis allé dans une ferme avec POUCHTAT où il y avait de la viande et du beurre. Il y avait un monde fou. J’ai un peu transpiré, mais je suis ressorti tout de même avec des côtelettes dans le filet, 1 kg de beurre et 1 kg de pain., et je suis ressorti précipitamment de la ferme sous les regards plutôt mauvais de tous ceux qui étaient venus avant moi.

Lundi 21 août 1944 : Nous nous baladons d’1 pré à un autre. La nuit, il a plu et nous nous sommes réveillés trempés comme des soupes.

Mardi 22 août 1944 : Nous faisons une étape de 15 kms à toute vitesse, puis repas. Le soir, nous avons monté la guitoune, car il a encore plu.

Mercredi 23 août 1944 : Nous dormions du sommeil du juste avec la joyeuse perspective de 3 jours de repos. A 5 heures réveil et branle-bas, on s’en va. Et je te replie tout. A 6 heures, naturellement, contre-ordre, on s’en va à 11 heures. Bricolage et messe à 9 heures. Casse-croute pris, on attend le départ. Nous sommes partis à 11 heures exactement et la grande cavalcade de Normandie a été exquise. Le temps était couvert, il n’y avait pas de poussière, je chantais comme un merle à mon volant.

Vers 8 heures, il a commencé à pleuvoir. On a bâché. Je suis resté 2 fois en panne. J’ai réparé en vitesse et j’ai rejoint encore plus vite, non sans transpirer, car ces sacrés Français ne gardent jamais leur droite quand ils conduisent. Après 1 heure d’arrêt à Rambouillet, nous repartons. Il fait une nuit d’encre, on roule en veilleuse, il arrive tous les incidents habituels. Je monte sur un trottoir. Une jeep rentre dans le fossé pour m’éviter, non sans gueulantes, etc…

Enfin, à 11heures du soir on s’installe dans une forêt, il pleut toujours, on monte la guitoune dans le noir et je tombe comme une masse.

Jeudi 24 août 1944 : Réveil 5 heures. On prépare tout, puis le Lieutenant nous rassemble. Nous devons rentrer à Paris aujourd’hui. Nous renforçons l’Infanterie en cas de besoin. Tout le monde prêt avec des grenades partout. Un peu après, j’attrape une colère terrible car le Lieutenant nous dit que les conducteurs restent aux voitures.Enfin, on se console, car il nous dit que nous devons protéger les autres avec la mitrailleuse.

Nous partons à 8 heures, il pleut à torrents. Toute la journée nous avons baroudé en 1ère ligne avec les chars et toujours sous la pluie. Nous ne sommes pas intervenus, mais ça sifflait dans tous les azimuts. Les voitures s’enlisaient dans la boue. Enfin, c’était un poème.

Dans les villages, c’était toujours les mêmes réceptions à tout casser. Vers 8 heures du soir, ça bagarre dur. 4 chars sont touchés. Nous restons tout-à-fait en queue, avec les mitrailleuses en batterie pour protéger le formidable convoi qui nous suit. C’est à dire le 1/3 de la Division.

A 11 heures du soir, nous repartons. Entre temps, j’ai pris une mitrailleuse de 50 sur un char démoli. La voiture est drôlement armée, la 50 à l’avant, la 30 à l’arrière. Nous couchons à Villacoublay, tandis que l’artillerie nous bombarde sans beaucoup de précision..

Vendredi 25 août 1944 : Nous partons à 5 heures et c’est bientôt la rentrée dans Paris en délire. C’est indescriptible. Plus on avance, plus il y a de monde. Le service d’ordre est débordé. Des cris, des chants, des effusions, on ne s’entend plus. Bientôt, les voitures sont prises d’assaut. Il y a des gens partout. Les jeunes filles sont les plus acharnées. J’en ai partout, à ma gauche, à ma droite, sur la tête. Le capot et les ailes sont remplis. On me laisse tout juste de quoi voir la route. Je ne sais pas comment il n’y a pas d’accidents.

Libération Place Opéra à Parisé

Mais un peu après, la police fait descendre tout le monde. On roule enfin à l’air libre. On navigue dans tout Paris. En ce moment, il est 6 heures. Nous sommes arrêtés depuis 2 heures. On nous a amené 2 prisonniers qu’on doit emmener. Ils sont assis sur les ailes de l’auto et les civils les couvrent d’injures depuis une heure. Si on n’était pas là, ils les lyncheraient. Des cris, des injures, on tond les femmes qui couchaient avec les boches et les coups de pleuvoir.

Nous sommes repartis à 6 heures et sous un déluge d’acclamations, nous gagnons la place Victor Hugo, en prenant quelques précautions quand même, car des miliciens tirent des fenêtres. Nous nous arrêtons dans une belle avenue, et naturellement, on lie connaissance avec un tas de gens. Je tombe bien, il y a des Corses.

Nous restons là jusqu’à 10 heures du soir. Dodoche, en voulant armer ma mitraillette, blesse le prisonnier boche qui est envoyé de suite à l’infirmerie. On en est débarrassé. A 9 heures ½, nous étionscomme des fous en prenant le café et des gâteaux, quand nous sommes partis nous placer à un carrefour, passer la nuit pour protéger un anti-char. Je n’ai pas dormi, car des jeunes filles sont restées avec nous toute la nuit. Le lendemain, nous sommes revenus à notre place avenue Poincaré.   

Samedi 26 août 1944 : Je bricole sur mon moteur toute la matinée. Les Civils passent et s’extasient sur notre matériel. Nous devons répondre toujours aux mêmes questions. Les gens se mettent en 4. Nous nous lavons et nous mangeons chez des particuliers. A 18 heures, toute une rame, dont nous sommes, part pour défiler dans certains faubourgs. Jusqu’à 5 heures, nous parcourons Paris sous des acclamations délirantes. Dans les quartiers gonflés, il faut passer les barricades en réducteur. Par endroit, c’était de la rage. On nous démolissait par des baisers trop furieux. A Puteaux, SCHUMANN a retrouvé sa sœur. Alors,les pleurs. Arrêté près de la « Seine », j’ai rempli mon bidon d’eau que j’ai jeté sur la voiture, maintenant, elle est baptisée. Revenu à 5 heures, je vadrouille avec ma bande jusqu’à 7 heures. On a quartier libre jusqu’à 20 heures. J’attendais ma touche qui était partie souper, quant passe une ravissante  jeune fille. Je discute, on s’embrasse que des yeux. Je prends mon calot et je pars. On discute, elle m’emmène à sa maison. Je discute avec maman. Bref, une demie heure plus tard, je me trouve à la table, Ne sachant pas trop comment me tenir au juste, car j’ai 2 assiettes, 1 petit et 1 grand couteaux, une serviette comme un mouchoir de poche, bref, je suis dans le grand monde. A 20 heures, je repars, Jeanine m’accompagne jusqu’aux voitures. Nous repassons la nuit au même endroit. à 11 heures, des avions boches viennent bombarder la ville pendant une demie heure. Je dors quand même, car je suis claqué. Il parait qu’ils sont revenus à 4 heures du matin.

Dimanche 27 août 1944 : Il parait que l’on repart barouder, car des chars boches se dirigent vers Paris. C’est vraiment une catastrophe, car Jeanine devait venir me voir à 11 heures. Enfin. C’est la guerre !

On est parti en effet à 10 heures vers St Denis. Après un arrêt de 2 heures à St Ouen, nous repartons en bagarre vers Villetaneuse. Toute la soirée, nous restons en batterie, cherchant des tireurs isolés qui nous tirent dessus sans arrêt, sans beaucoup de précision. Nous passons la nuit à Villetaneuse. C’est à qui se met en 12 pour nous... Nous flirtons et dansons avec un accordéon.

Enfin, tout se calme. Nous dormons sur des trottoirs, quant à 12 heures, éclate un orage terrible. Nous nous réfugions chez les habitants, qui en chemise de nuit bousculent leurs meubles pour nous installer dans leurs pièces. Je prends la garde de 12 heures à 1 heure, puis, je dors comme une masse.

Lundi 28 août 1944 : Réveil tranquille. Nous nous attendons à partir. Il est 10 heures. En fait de départ, il y a contre-ordre. Nous nous installons pour plusieurs jours. C’est la vie de bohème. Je travaille à plein rendement, car je révise entièrement la voiture. Mais, à partir de 6 heures, c’est la fête. Nous sommes invités à souper et ensuite, il y a bal.

René ANTONI 2

A Villetaneuse. Devant probablement le Half-track "LA SEINE" et son équipage, debout, le second partant de gauche : René ANTONI.

Collection Hervé ANTONI

Mardi 29 août 1944 : Même topo, excellente nuit sur un matelas prêté par un civil, dans un hangar. Puis, je fait mes vidanges. Je suis encore invité à déjeuner, ce soir à souper, et on s’amuse toujours. A 4 heures de l’après-midi, nous changeons d’endroit. On se place dans une rue à la sortie du village « Villetaneuse » et on s’amuse toujours.

Mercredi 30 août 1944 : Réveil 8 heures. Je suis un peu reposé, mais complètement moulu. Le travail sur la voiture étant terminé, je bricole, puis, après une excellente toilette, je me change et je me promène avec les copains. Nous ne sommes pas invités ce matin, mais on nous apporte tout de même des plats tout prêts. Ce fut un excellent repas.

A 2 heures, on dormait à poings fermés. Rassemblement. Le Lieutenant nous parle. Il faut 2.permissionnaires pour Paris. Demande un tas de questions sur ceux qui ont de la famille, etc…Enfin, on rompt les rangs et, ¼ d’heure après, le Lieutenant me demande  au tirage au sort. C’est moi qui ai la perm avec GIANNI. Ce dernier dit que le Lt n’a pas tiré au sort. Enfin, je ne cherche pas à comprendre.

Durant tout l’après-midi, je repasse, ou plutôt, une bonne dame repasse ma tenue et j’arrange mon bardas. Le soir, on a soupé en famille et on a discuté autour d’1 bougie, car il n’y a pas d’électricité. C’était une véritable veillée. Puis la dame « GROUX » qui m’a pris vraiment en affection, car elle a 1 petit fils de mon âge, me propose, ni plus ni moins, sa chambre d’amis. Et me voilà comme un prince cherchant une position commode dans ce lit trop moelleux. Tandis que je couve amoureusement du regard ma tenue de sortie impeccablement posée sur un cintre. 

Jeudi 31 août 1944 : Monsieur GROUX me réveille à 6 heures. Je me prépare, et à 7 heures ½, les camions nous emmènent à toute vitesse vers Paris encore endormi. Je déambule jusqu’à 9 heures, puis, longue station chez le coiffeur. A 10 heures, je téléphone chez Jeanine qui naturellement m’ordonne d’accourir à la maison. J’y vais, un peu gêné de m’inviter, mais ma foi, sous le bras, j’ai un petit colis de matières rares ces temps-ci.

Madame X se récrie à la vue du colis, m’embrasse, etc… Comme ça réchauffe un foyer, surtout quand une splendide jeune fille s’occupe de vous avec amour. Je passe une journée magnifique. C’est la dinette à trois sur une table de bridge. Dans l’après-midi, je roule dans Paris avec Jeanine sur le cadre du vélo. Nous allons au lac canoter, visitons 1 aquarium, enfin nous rentrons à 7 heures complètement claqués. Le souper fut simple et plus délicieux par la gaieté et la sympathie qui y régnaient, si bien que j’oublie l’heure.

Tout d’un coup je saute, il est 9 heures 10, je suis au Trocadéro. Les copains repartent à 9 heures de la Concorde. J’embrasse ces Dames affolées, je prends ma veste et mon calot au vol, je descends les 3 étages sur la rampe et je fais du cross sur les quais de la Seine, pour arriver et prendre le dernier convoi, comme il démarrait. Je suis mort. De retour à Villetaneuse, je discute un peu, puis je tombe dans mon lit pour en sortir sans le moindre petit rêve.     

Vendredi 1er Septembre 1944 : A 8 heures, j’ai fait une longue toilette, et maintenant, installé dans un charmant salon, je vais écrire des lettres. La journée s’est passée sans que je m’en aperçoive. Nous avons encore été invités le soir, il y a eu bal sur la place. J’ai flirté avec la fille de la maison où je suis, et la belle vie continue.

Samedi 2 septembre 1944 : Les journées s’écoulent toutes pareilles et sereines dans ce petit village. Nous avons encore été invités à manger. J’ai eu tout juste la force de monter me coucher pour la sieste. L’après-midi, nous avons eu revue d’armes, puis le soir, ce fut le grand souper familial, car maintenant, les choses sont établies avec le ménage GROUX. Nous fournissons la marchandise, eux la maison, et tout le monde cuisine en même temps, et tous sont satisfaits.

Dimanche 3 septembre 1944 : Il y a tir pour tout le Peloton, sauf les conducteurs. Je suis seul, écrivant dans le charmant petit salon. Je voudrais bien aller à la messe, mais je dois rester à la voiture. Je suis ennuyé. Je suis allé à la messe quand même. L’après-midi, après une terrible sieste, je me suis promené, puis invité à souper, j’ai fait un excellent repas, et je suis allé danser. Ayant trouvé une excellente cavalière, je l’ai raccompagnée et j’ai regagné ma chambre à 1 heure du matin, un peu vaseux…

Lundi 4 septembre 1944 : J’ai travaillé un peu sur la voiture. Le soir, nous préparons tout, car le départ est peut-être pour demain. Je rentre à 2 heures du matin.

Mardi 5 septembre 1944 : Même journée calme. Heureusement que le soir j’ai mon flirt, sans cela, je m’ennuierais. Je suis encore rentré très tard après avoir été invité pour la soirée chez les parents de mon flirt.

Vendredi 8 septembre 1944 : Depuis 2 jours, j’ai négligé le journal, car c’est toujours pareil, vie de oisif et de bon vivant, des invitations, des bals, des touches. Heureusement qu’on part aujourd’hui, je commence à être un peu fatigué. Hier, je suis rentré à 2 heures ½ du matin. Aujourd’hui, pas de sieste, on part entre 12 heures et 2 heures,

Ça val mal, il va y avoir des cris et des larmes. Nous sommes partis du village à 1 heure. Toute la population était dehors. Ça pleurait de tous les côtés. Les artistes de cinéma n’ont pas été pris en photo autant que nous. Nous avons traversé une bonne partie de Paris, puis nous avons roulé tranquillement tout l’après-midi. Il a fait très froid, le temps était menaçant. Nous avons sorti les canadiennes et les gants.

Comme j’avais une envie folle de faire pipi, et la halte ne venait pas, le Margis a pris ma place, toujours en roulant, après un peu d’acrobatie, et j’ai pu me soulager en route. Un peu angoissé, car il y avait du monde, de temps en temps, sur le bord de la route. Devant notre exemple, un tas de conducteurs ont fait comme nous. C’est formidable ce qu’on arrive à faire en roulant. Comme il pleuvait un peu, nous avons bâché. Le Margis, à plat ventre sur le capot, prenait la bâche sur l’aile. Les autres, à l’extérieur, défaisaient les arceaux, puis tout le monde replaçait tout, que je conduisais tant bien que mal. Dans tous les villages, nous recevions un bombardement soigné de pommes, poires, prunes, etc… Il y a eu pas mal d’yeux pochés malgré les casques.

Pendant que le Margis conduisait, je jetais les pelures des fruits, d’un geste large, à tous les gus qui se précipitaient croyant que c’était toute autre chose. A un moment, un chien allait se faire écraser. Je lui ai sauvé la vie en lui ajustant une pomme sur le coin de la gueule, ce qui l’a fait sauver à grands cris, pendant que tout le monde se tordait. Bientôt, je reprends ma place, toujours en roulant, Enfin, c’est la halte. Sur 3 kms, ce n’est qu’une rangée de types se soulageant dans le fossé avec un soupir de soulagement, on aurait dit que c’était le déluge.

Vers 8 heures ½ , nous passons « Nogent sur Seine », Puis, nous nous arrêtons. Bientôt, nous montons les guitounes et après un bon souper et un bon café, on fait la causette et on se couche. Je me trouve mieux que dans le lit à Villetaneuse. J’adore cette vie de Bohémien.

Samedi 9 septembre 1944 : Je me lève à 8 heures. Il fait un froid de canard. Tous les Africains gueulent après leurs palmiers. Le soleil pointe quand même. Je finis la toilette, puis je bricole sous le moteur, et enfin, tout le monde prépare un bon repas avec le café habituel pour terminer. Ce matin, nous nous entendons à merveille dans la voiture. Chose rare, le Margis m’est presque supportable.

Nous devons repartir à 2 heures sur Bar-sur-Aube. Je vois que nous allons traverser Troyes. Nous sommes partis à 2 heures sous la pluie battante. Ça n’a pas duré heureusement. Nous avons roulé jusqu’à 10 heures du soir, et nous nous sommes arrêtés à « Les Forges ». Cela a été une belle promenade pour de charmants paysages. Le Margis m’a remplacé pendant un moment. Nous avons contourné Troyes. En arrivant, nous avons garé les voitures pêle-mêle dans une forêt, puis nous sommes allés dormir dans l’école du village.

Pendant 1 heure ½, c’était le souk. Il faisait noir, il fallait enlever les tables des classes. Chacun perdait ses affaires. Enfin, on trouva l’ampoule électrique. Petit à petit, tout se tassa et le Peloton s’endormit dans une vieille classe d’école tandis que chacun se rappelait ses souvenirs d’école. J’ai passé une bonne nuit.

Dimanche 10 septembre 1944 : A 8 heures, tout le monde était réveillé, bien entendu, mais bien camouflé sous les couvertures. Le Lt tout de même se décide, et de son lit de camp lance un : « Debout là-dedans » sans réplique. Lentement, mais passivement, tout le monde se met en branle. Il fait plutôt froid. Préparatifs habituels, messe à 9 heures, puis repas sur place. Nous ne devons partir que vers 2 heures ou 3 heures. Nous avons rejoint un petit village à 6 heures.

Le Peloton s’est installé dans une belle villa. Nous avons tous des lits, antérieurement aménagés pour des boches. Le soir, nous avons dansé. J’ai pris la garde de 21 heures à 2 heures ½, assez longue. Puis nous sommes repartis en baroud à 6 heures du matin.

Lundi 11 septembre 1944 : Tout le Peloton est de bonne humeur et se prépare en chantant, sifflant et plaisantant à qui mieux mieux. Nous partons au baroud à 7 heures, nous roulons sans discontinuer jusqu’à 3 heures de l’après-midi, où nous trouvons de la résistance. Nous sommes en tête à côté des chars.

Le Peloton part pour patrouiller avec 3 ou 4 chars. Les conducteurs nous restons aux voitures, bien mécontents. Ça tire de tous les côtés. Bientôt après, stupéfaits, nous voyons passer une jeep avec STRINGA évanoui et blessé, puis ROUGETET, blessé aussi. Ce n’est plus une balade. Peu après GIANNI arrive, descend de la jeep et plaisante avec nous malgré sa douleur, il a une balle dans la cuisse droite. Il nous dit que le Lieutenant doit être mort, mais nous ne voulons pas le croire.

JMO 2

Extrait des J.M.O.

Hélas, 5 minutes après, 1 jeep le transporte expirant, à toute allure. Je suis terriblement secoué et incapable de parler. BAYO non plus. Je sentais les larmes monter. Je m’isolai un peu, et enfin, je me dégonfle. De gros sanglots étouffés. Je réalisais à ce moment que la guerre est horrible. Il m’était impossible de croire que d’une seconde à l’autre, un être si beau, si plein de vie et de jeunesse, ne soit plus rien. Je réalisais aussi le malheur que c’était pour le Peloton. La perte irréparable que nous accusions.

Les prisonniers affluent, le Peloton fait merveille, nettoie maison par maison, avec l’aide puissante des chars. Une heure après, il remonte. Tout le monde est excité et consterné. Je me fais raconter le tout par le détail. Le Lieut. a été imprudent comme d’habitude. Les autres ont fait pour le mieux. Je reste abattu toute la soirée, indifférant au paysage, aux acclamations dans les villages, aux clochers qui sonnent à toute volée leur libération. Je réalisais combien j’aimais mon Lieutenant. Je savais très bien que j’étais son préféré avec GIANNI.

Il y a beaucoup de travail maintenant, car nous ne sommes plus que 4. MARTIN est passé radio sur la voiture de commandement. A 8 heures du soir, après avoir foncé à 30 miles à l’heure, comme la nuit tombe, nous lâchons les boches et reculons un peu nous établir pour la nuit. J’ai mal dormi, il a fait très froid.  

Mardi 12 septembre 1944 : Départ 7 heures, puis nous restons dans la plaine jusqu’à 12 heures. Il y a un peu de tous les Régiments mélangés. L’Artillerie tonne, Nous discutons par petits groupes de la bagarre d’hier. Nous avons baroudé et foncé tour à tour pendant l’après-midi.

Dans les villages, on a tout ce que l’on veut : Vin, beurre, pain, etc… A 10 heures du soir, nous nous replions pour passer la nuit. Je suis claqué. J’ai les reins cassés. Un mal au crâne terrible, car je fais radio en plus de conducteur, et je n’ai pas l’habitude de supporter les écouteurs. En plus, en cas de tir, je dois faire pointeur au mortier, car la pièce est réduite au minimum. J’ai très bien dormi, malgré qu’un nombre assez sérieux d’avions boches aient ronronné au-dessus de nous. Ça a tiré jusque tard dans la nuit.

Mercredi 13 septembre 1944 : Nous ne démarrons qu’à 9 heures, ça s’annonce intéressant. Il parait qu’il y a des Tigres. Nous sommes assez loin de la tête de colonne, mais bientôt, on demande les mortiers. Plein d’ardeur et les yeux brillants, nous fonçons et doublons toute le colonne, pour arriver en 1ère ligne, où tout est mêlé, Chars, Infanterie, Artillerie. L’aviation bombarde sérieusement un petit bois où il doit y avoir un os. Puis, nous avançons en tous terrains. Tous mélangés et déployés, tandis que la biffe marche devant et patrouille.

Ça a bardé dur durant tout l’après-midi. Nous sommes restés en batterie en 1ère ligne dans le village de Damas. Devant nous, un Destroyer guettait le passage d’un Tigre signalé un peu plus loin. Brusquement, il surgit du côté où on ne l’attendait, passant non loin du Destroyer, sans que celui-ci le vit. Nous gueulons et trépignons. Je voulais tirer au mortier, le chef ne voulait pas. Enfin, ils le virent et ce fut du dessin animé. En 2 secondes, ils sautèrent dans le char. La tourelle tournait et un feu nourrit commença sur le boche qui fonçait à toute allure. Ils l’atteignirent au 6ème coup à peu près, et il s’échoua dans un creux où la biffe s’occupa de lui. Nous vîmes alors un tigre derrière l’endroit où il avait débouché et le Margis trouva que je pointais comme un as.

Vers 8 heures du soir, nous sommes repartis, et comme la nuit tombait en même temps que la pluie, nous sommes, allés nous remettre en batterie derrière une côte où nous avons passé la nuit. Avec nous,  il y avait des fusiliers marins, de la biffe et derrière, l’Artillerie. J’ai passé une assez bonne nuit sous la voiture. Nous avons juste entendu une mitrailleuse sur le matin. Debout à 6 heures, nous sommes revenus dans un patelin vers 9 heures, où nous sommes toujours en batterie, il est 2 heures ½.

Nous avons terriblement mangé avec un lapin rôti par des civils, et ce soir, nous aurons un morceau de cabri. Nous sommes restés en batterie ,jusqu’au soir. où nous avons tiré  vers 7 heures, puis toute la nuit avec tout en l’air, mitrailleuse, rocket, etc…J’ai dormi dans une écurie sur de la paille. J’ai pris le guet de 4 heures jusqu’au réveil. Nuit calme, juste quelques mitrailleuses.

Vendredi 15 septembre 1944 : Au matin, Ça se gâte. L’Artillerie nous canarde, pas trop juste. Je fais le café pendant que les autres creusent des trous et placent les mitrailleuses légères. Tout le monde est aux aguets. On s’attend à une contre-attaque.

A 11 heures, vlan. l’Artillerie. Nous sommes tout près. Je ferme les volets et me planque dans la carriole, et du coup, moi qui rouspète toujours, je mets le casque double sans difficulté. Vlan, un 2ème plus près, la voiture a tremblé et moi je commence à trembler un peu, mais ce doit être nerveux. Vlan, 3ème.cette fois les éclats passent au-dessus de moi. A la voiture de commandement, MARSENE est touché et MARTIN aussi, mais légèrement. Assez calme, Je surveille toujours mon secteur que je dois balayer avec la 50 ou je joue avec le petit lapin « Damas » que j’ai pris hier comme mascotte. Il y a un répit. Il est 11 heures ½. L’Artillerie boche s’est arrêtée, mais la nôtre a commencé et tirera tout l’après-midi.

De temps en temps, on entend une mitrailleuse. Il est maintenant 5 heures ½, j’ai dormi durant 3 heures dans la voiture, pêle-mêle avec tous les coussins. Après-midi calme. La nuit, j’ai pris une garde pénible de 5 à 7 dans un trou aux avant-postes. Je croyais voir et entendre des boches à tous moments.

Samedi 16 septembre 1944 : Nous sommes toujours au village de Damas dans les Vosges. J’ai assez bien dormi dans la voiture. Des balles m’ont réveillé à 3 heures du matin, mais devant le silence qui arrivait, je me rendormi. Je pris la garde de 5 heures à 7 heures en avant-poste dans un trou. C’est la plus pénible jusqu’à maintenant. Ce n’est pas la garde, c’est le guet. On croit voir des boches partout. A un moment donné l’illusion fut si forte que mon sang fit pour le moins 4 ou 5 tours et je sortis une grenade et la mitrailleuse à portée de main.

Enfin, à 7 heures, je réveillai tout le monde, me moquant un peu de moi-même. Nous prîmes un café au lait bien tassé à 8 heures. Je vadrouillai toute la matinée et me lavai. Après, un repas plutôt soigné, sieste excellente, puis correspondance. Fin de journée paisible, puis j’ai pris la 1ère garde de 9 heures à 11 heures du soir. Nuit d’encre, garde délicate toujours la même d’ailleurs depuis que nous sommes là. Rien ne s’est passé à part toujours les habituels coups de mitrailleuse ou de carabine par-ci, par-là.  

Dimanche 17 septembre 1944 : Je n’ai pu aller à la messe, car toute la journée, la surveillance a été plus délicate que jamais. Nous avons fait néanmoins des repas d’avant-guerre avec force gâteaux, flans, et tous confectionnés par des civils. Vers le soir, nous avons discuté avec les demoiselles des alentours. J’ai pris la deuxième garde de 5 heures à 7, tout à fait tranquille. Il a fait jour à la moitié, car nous avons retardé nos montres d’une heure.

Lundi 18 septembre 1944 : Il pleut toujours comme depuis 3 jours, mais on dirait que ça s’arrête. J’ai bricolé sur la voiture toute la matinée, puis nous avons encore trop mangé d’un lapin, tarte, etc… .Il est 2 heures, BAYO sort en surveillance, car tous les indigènes sont partis avec la voiture de commandement escorter le Génie qui allait réparer un pont. Ils sont revenus en ramenant un Panthère abandonné. J’ai pris la 1ère garde assez tranquille.

Mardi 19 septembre 1944 : Journée monotone. Je m’amusais avec BAYO comme des gosses en riant de tout et de rien. Nous montons une ou 2 gardes avec mitrailleuses. Je prends 2 heures d’écoute radio et nous faisons des repas de Gargantua. J’ai pris la garde de 10 heures ¼ à 11 heures ½, tout à fait tranquille, juste 2 chats m’ont tenu en alerte tour à tour, mais d’un caillou bien ajusté, je les ai faits décamper. 

Mercredi 20 septembre 1944 :Même journée, rien d’intéressant. Garde le matin tout à fait tranquille,

JMO 3Extrait des J.M.O.

Jeudi 21 septembre 1944 : Notre voiture est sortie avec 1 Peloton du 1er Escadron faire une patrouille. Rien d’intéressant. Simple promenade. Passant près d’un hangar où il y avait des effets français abandonnés par les boches, nous avons raflé tout ce que nous avons pu, notamment des convecteurs avec résistance électrique, pour tous les copains du Peloton. En plus, j’ai eu 1 passe montagne, 1 joli short, 1 béret basque et des gants. De plus, l’armée nous a distribué du linge fauché aux boches. J’ai une jolie collection de slips. Nous sommes revenus à 1 heure de l’après-midi.

J’ai lu tout le temps avec BAYO. La nuit, nous avons pris une garde assez calme. J’ai pris de 3 heures ½ à  6 heures du  matin.

Vendredi 22 septembre 1944 : Nous devons partir, il est 10 heures ½ , Nous sommes partis pendant que les civils se désespèrent de peur que poulet et ragout ne soit pas prêts avant qu’on démarre. Nous avons pu recevoir tout de même les 2 plats et même une tarte quelque peu malmenée. J’ai mangé tout en conduisant.

JMO 4Extrrait des J.M.O.

Nous avons roulé à toute vitesse, puis fait la sieste dans un bois, pour en repartir à 5 heures. Passé tout un tas de ponts de Génie sur la Moselle. je crois, et enfin aller passer la nuit dans le village de Vallois où ma voiture était dans une grange formidable. Malgré le lit de foin, j’ai mal dormi, car notre Artillerie a tiré toute la nuit. J’ai omis de dire, je ne sais comment, nous avons reçu un autre Lieutenant 2 galons, depuis 3 jours. Il a l’air très gentil et très timide.

Samedi 23 septembre 1944 : Nous démarrons à 8 heures faisant du tous terrains et passant encore des ponts. Nous nous camouflons contre les haies à chaque arrêt, mais bientôt, nous dégustons un bombardement d’artillerie. En un clin d’œil, je ferme volets et portière, et par les fentes, je regarde. Malgré moi, je ris de suivre les plongeons d’un certain nombre de types frôlés par les éclatements d’obus. Mais bientôt, je ne ris plus. Le chef et le Lieutenant sont blessés tous les deux au pied. Je me précipite et avec le Margis SCHWALM, je porte le Lieut pendant 300 m. jusqu’à 1 ambulance, tandis qu’une jeep vient chercher le Chef.

JMO 5Extrait de J.M.O.

Nous repartons bientôt. Le Margis, en tant que plus ancien, passe Chef de Peloton à la voiture de commandement. Je roule donc seul avec les 2 indigènes. Bientôt, on m’affecte le Brigadier-chef  JACQUETY comme chef de voiture, avec lequel je me suis toujours très bien entendu, espérons que cela durera.

Nous restons arrêtés dans un grand pré pendant des heures. La boue rend l’avance très difficile. A 1 heure, nous touchons 1 Aspirant qui a l’air assez bien. Il visite toutes les voitures, puis retourne à la sienne. Il est maintenant 5 heures ¼. Il pleut toujours comme depuis que l’on est partis, et c’est vraiment amusant de rouler sous la flotte.

Vers 6 heures, nous sommes allés en pleine Forêt, en surveillance sur les flancs. Nous nous sommes très bien camouflés. C’est facile parmi les sapins. J’ai pris la garde de 9 heures à 10 heures ½, dans une nuit d’encre où il fallait écouter seulement, rien d’anormal.

Dimanche 24 septembre 1944 : Nous avons changé de place pour mettre le mortier en batterie à 200 m. de là, puis, nous avons monté les guitounes, car il pleut et il fait un froid de loup. Journée paisible, je m’accorde très bien avec mon nouveau chef de voiture Nous avons fait une sieste à tout casser, puis souper et terminé la soirée à discuter avec la 3ème  pièce qui se trouve à côté.

Je devais prendre l’écoute radio de 3 heures à 5 heures, mais finalement, il n’y a pas eu de radio durant la nuit. J’ai pas mal dormi malgré les Artilleries, la nôtre et boche qui ne s’arrêtent pas depuis 2 jours et 2 nuits. Je ne me suis levé qu’à 9 heures. REDACHE nous a servi le café avec biscuits fourrés, alors que j’étais emmitouflé dans 5 couvertures. On me reparlera des Vosges...

Lundi 25 septembre 1944 : Il est 11 heures, nous sommes prêts à partir pour changer de secteur, je crois. Il y a un contre-ordre, et nous devons rester 2 ou 3 jours. Qu’est-ce que j’ai pu râler. Il a fallu remonter les guitounes sous la pluie et dans une boue du diable, replacer la voiture qui patinait, enfin, tout fut réinstallé.

A 6 heures du soir, après avoir touché le ravitaillement que la voiture de commandement est allée chercher en risquant cent fois de s’enliser. Nous avons soupé tant bien que mal, puis après avoir discuté autour d’un feu, nous nous sommes couchés. C’est-à-dire qu’avec 2 toiles de tente et 3 couvertures dessous et 2 dessus, je me suis endormi, maudissant toutes les artilleries du monde qui n’arrêtent de siffler au-dessus de nos têtes, où de tomber à 300 m. de là, ce qui ne lasse pas d’inquiéter une partie du Peloton. 

Quant à moi, j’ai enlevé souliers et chaussettes mouillés devant le réchaud et quitte à me débiner les souliers sous le bras jusqu’à la voiture au cas où ça chaufferait. J’ai pris l’écoute radio de 3 heures à 6 heures du matin, bien au chaud dans mes couvertures, car nous avons allongé le fil de l’écouteur. Je crois que le bruit de l’appareil m’a fait roupiller plutôt qu’autre chose. Le matin, je suis resté dans la guitoune, car il pleut toujours, puis après un abondant repas avalé un peu vivement, je me suis recouché bravement. Il y a 2 jours que nous ne nous lavons pas, car il n’y a pas d’eau. Il faut aller chercher le ravitaillement à pied, car les voitures s’embourbent.

Mardi 26 septembre 1944 : Il est 2 heures, j’écris. Je vais prendre l’écoute de 3 heures à 6 heures. J’ai lu  pendant l’écoute. Le soir, nous avons ri et discuté malgré un petit bombardement qui tombait à côté sur le Peloton. J’ai pris l’écoute de 1 heure à 3 heures dans mes couvertures.

Mercredi 27 septembre 1944 : Il fait moins froid ce matin. Je me lave et me rase, puis reste couché, mais il faut nettoyer les armes. Après déjeuner, le froid recommence. Je sors des chaussettes à laver et je mets 2 paires aux pieds, 1 de laine, 1 de coton, puis j’ai écrit 6 lettres, dont 2 en anglais, dans tout l’après-midi. Le temps est menaçant.

Les Allemands devaient contre-attaquer, mais l’aviation ronronne dans le ciel gris, et je crois qu’il n’y aura rien. Je me suis endormi après avoir discuté longuement avec le Brigadier-chef sur la question mariage et femmes, avenir, etc... J’ai pris l’écoute de 11 heures à 1 heure, puis, j’ai dormi comme une souche malgré cette sacrée artillerie qui roulait comme un train de 150 wagons…

Jeudi 28 septembre 1944 : A 6 heures, on me réveille pour prendre le guet. Il n’y avait pas 1 demie heure que je me gelais en faisant les 100 pas, quand j’entends en plein dans l’axe, un sifflement qui ne laisse aucun doute, ni sur sa nature, ni sur son origine. En 3 secondes, je fais volte-face, je fonce. Vlan, un arbre à droite, l’auto, à gauche, la guitoune. Je passe comme un bolide et sans l’égratignure et je me retrouve dans l’auto quand l’obus explose à 100 m. Le Brig. Chef  qui avait plongé dans un amas de branches, arrive en même temps que DEDOUCHE et ABLES. Tout le monde se retrouve dans la voiture avec force rires, et non moins d’injures pour la façon dont les boches nous ont réveillé.

Pendant un quart d’heure, ça tombe aux alentours, puis cela s’arrête et nous faisons notre chocolat. Je prends l’écoute de 7 heures à 9 heures en discutant et en écrivant, et la matinée passe vite. Je prépare des frites, et après un excellent repas, une bonne sieste.

L’après-midi s’est passée à discuter, tout en préparant un repas plutôt soigné. Nous étions à peine couché qu’il y a, parait-il, alerte, parce qu’une patrouille boche est dans les environs. Nous restons 3 quarts d’heure aux aguets, camouflés dans la forêt. J’ai un véritable arsenal dans les poches : chargeurs, grenades, etc…Il fait froid, j’ai les pieds engourdis. Enfin, l’ordre arrive, on peut se coucher, mais tout habillé. Peu après, arrive l’ordre de cesser l’écoute jusqu’à 5 heures du matin.

Me voila tranquille. Je t’en fous, je n’ai pas pu dormir, l’artillerie a fait un vacarme du  diable toute la nuit. Le tir n’a jamais été si violent, la terre vibre à chaque départ. C’est un véritable grondement. Il y a au moins 20 pièces. De l’autre côté, les boches en font autant. Le duel dure jusqu’au matin. Heureusement, les boches tirent un peu court pour nous…

Vendredi 29 septembre : Réveil en fanfare, encore alerte. Je me tiens un moment à la mitrailleuse, mais bientôt, j’envoie tout au diable, et nous commençons à préparer le chocolat. Il fait un froid terrible, nous sommes tous emmitouflés des pieds à la tête : Passe-montagne, chèche, bonnet, canadienne, gants, tout y passe. A la fin, comme j’ai vraiment froid des pieds, je mets le moulin en marche. Je lève le capot, et nous voila tous les 4 assis ou sur le capot ou sur l’aile, ou comme on peut, avec 8 pieds sur les tuyaux d’échappement. Ça réchauffe en partie.

Finalement, je rentre dans mes couvertures, enfermant mes pieds dans les manches de ma canadienne, pour n’en sortir qu’à 11 heures du matin et préparer le repas. Puis, j’ai fait la sieste. Le soleil a daigné paraître et timidement, commence à chauffer. L’après-midi s’est écoulée monotone. Comme il n’y avait pas d’écoute radio, j’ai pris la garde de 9 heures à 11 heures. Il a fait froid et l’artillerie m’a cassé les pieds.

JMO 6Extrait des J.M.O.

Samedi 30 septembre 1944 : Même journée. Je me suis passionné pour la cuisine. Le soir, ça a été plus divertissant. Vers 7 heures, nous étions en train de discuter tous les jeunes autour d’un café, et tout près de la 3ème pièce, quand tout d’un coup, un obus éclate à 100 m. Ce fut un dessin animé. Bien que n’étant pas de la 3ème voiture, je double 2 types et m’installe au fond de la voiture. De tous les côtés, ça rentre. Bientôt, nous somme 8. Dans la voiture de commandement, c’est la même chose. A peine installés, le 2ème arrive. Et c’est comme cela pendant un quart d’heure.

Nous rions et plaisantons tant et plus malgré l’odeur de poudre qui nous emplie les narines et les éclats qui passent dans les sapins. Quand c’est fini, chacun va se coucher, riant encore. Mais bientôt, un autre sifflement suivant d’un ronflement. Ça passe au-dessus. Ils ont allongé le tir. La moitié hésite, certains se mettent dans les autos, le Margis en tête, je reste au chaud dans mes couvertures. Et comme cela se prolonge, tout le monde finit par aller se coucher. Bientôt, on confond nos sifflements et les leurs. J’ai pris l’écoute de 3 heures à 5 heures.

Dimanche 1er octobre1944 : Je sors de la guitoune à 11 heures seulement pour filer à la voiture de commandement qui revient du village, comme tous les matins, avec le ravitaillement et le courrier. Il parait qu’il y en a une cargaison. Manque de pot, il doit y avoir erreur, il n’y a qu’une lettre pour PLANCHAT. Tout déconfis, nous repartons à nos bivouacs respectifs et la monotonie recommence un peu plus joyeuse, car la pluie recommence.

A 4 heures, sous la guitoune, je fais un chocolat des plus soignés. Puis à 6 heures, la guitoune est transformé en souk, car à 3, nous faisons de l’acrobatie pour préparer le souper. JACQUETY fait la soupe, le Margis, l’omelette, et moi le lard. La soirée a été calme. J’ai pris l’écoute en roupillant de 1 heure à 3 heures.

Lundi 2 octobre 1944 : Il pleuviote. Je prépare la cuisine avec amour et je lis ou j’écris, L’Artillerie est assez tranquille, par contre, l’aviation s’en donne à cœur joie, en piqué, en looping, en feuilles mortes, tout y passe.

Mardi 3 octobre 1944 : Il fait plutôt froid. Je me lève à 10 heures ½. 1 évènement. Le Dodge apporte le prêt. Nous faisons la queue en discutant sur les nouvelles de l’arrière. Je touche 1.035. L’après-midi, nous avons nettoyé la voiture et l’armement. Je vais m’arranger la cravate avec la soupe.

L’après-midi a été doux. Je suis resté avec un copain du 1er Escadron à côté, qui ne pouvait mettre son char en marche. J’y suis arrivé en trifouillant au petit bonheur, puis nous avons fait un tour dans les champs de pomme de terre. Après souper, j’ai discuté jusqu’à 9 heures avec SCHUMANN et BAYO. Ils sont aussi amoureux que moi depuis quelques temps, aussi, nous adorons discuter de nos belles à temps perdu…

Mercredi 4 octobre 1944 : Nous sommes relevés pour 48 heures, et nous descendons au village. Pendant les préparatifs, nous entendons tout d’un coup un sifflement formidable. Nous écoutons tous, debout. Est-ce une sirène, une auto ? Tout d’un coup, tout le monde par terre. Ce n’est que 6 obus qui tombent en même temps. On a eu chaud, c’est à 300 m. Ce doit être les fameux mortiers à 6 tubes, Ça retombe, mais  c’est dans une autre direction.

Nous partons à 8 heures. PLANCHAT manque de verser dans la boue, puis se redresse. Nous passons dans le village. Les 2 premières voitures sont dans le jardin d’une belle villa et les 2 dernières dans la cour des étables. Nous sommes installés dans une espèce de grand grenier plein de foin. JACQUETY et moi avons trouvé une bonne dame pour laver notre linge, et cet après-midi, nous pourrons prendre une espèce de bain à l’eau chaude.

A partir de 12 heures, ça c’est gâté. Une série de mortiers nous est arrivée dessus accompagnée de leur sirène. Ce fut une belle mêlée. J’ai écrasé un œuf en montant dans la voiture. C’est tombé à 40 m. Derrière, d’autres mortiers. Tout l’après-midi, ils nous ont bombardé, tantôt avec de l’artillerie, tantôt avec les mortiers au train bleu. J’ai bien vu à chaque arrivée du haut de notre grange. Nous étions 3 à attendre les arrivées et à regarder quand ça ne tombait pas trop près. De temps en temps, un sifflement un peu proche nous faisait plonger dans le foin pour ressortir 2 m. plus loin, tandis que toute la grange vibrait. Je riais comme un fou sans me rendre compte du danger. A la villa d’en face, une quinzaine de trouillards fanfaronnaient devant la porte et à chaque sifflement disparaissaient telle une volée de moineaux, en direction de la cave. C’était crevant de les voir.

Nous avons eu à déplorer la mort d’un éclaireur durant cet après-midi. Le soir, nous sommes installés comme des rois dans le foin, se racontant des histoires, interrompues au moindre sifflement suspecte : moineau, auto ou abeille. Avec ces sacrées sirènes, on ne s’y reconnait plus…

Jeudi 5 octobre 1944 : Nous comptions être réveillés en fanfare, mais  les boches ont été bien. Pas de bombardements. Nous nous sommes levés vers 9 heures, puis nous avons bricolé.

J’ai commencé à me chamailler avec le Margis, puis comme je le gobais de moins en moins, la bagarre a pris plus de violence, puis, j’ai cédé sans céder. Il est arrivé 2 nouveaux au Peloton. Aussitôt, je plonge au Margis et demande le rapport de l’Aspi. contre lui. Mais il ne peut faire autrement. Il demande le rapport. L’Aspi. m’appelle, j’arrive et je lui explique : « Je voudrais changer de voiture parce que je ne m’accorde pas avec le Margis ». Il me demande pourquoi. Je lui dit : « C’est trop long à expliquer ». Il répond : « On va voir ». Le Margis qui devine ce qui se passe me cherche des noises et m’énerve, m’énerve.

A la fin, je l’envoie carrément au diable, en lui disant ses quatre vérités et en lui refusant toute obéissance. Pâle de rage, il va chercher l’Adjudant, me menaçant de m’envoyer au dépôt des fortes têtes. Je lui gueule que ce n’est pas encore lui qui m’y enverra. Bientôt l’Adjudant arrive et m’appelle, puis sur le ton d’un type qui a affaire à un voyou, commence à me remettre à ma place en me demandant pourquoi j’ai envoyé balader le Margis. Je m’explique, je tremble et je boue. L’autre à côté m’énerve en me piquant ironiquement.

A la fin, je pleure de rage et abandonnant le garde-à-vous, je gueule que je suis venu pour me battre et que c’est malheureux qu’un salaud et un froussard me fasse des ennuis ou quelque choses dans ce gout-là. L’Adjudant se radoucit, puis me dit : « Bon, ça va. Tu vas te mettre de garde à la porte jusqu’à midi ». Bientôt l’Aspi. m’appelle et me dit : «  Je ne vous prends pas pour une forte tête. A midi, vous serez affecté à la 3ème place, à la place de BAYONNAS qui passe pointeur sur la 1ère. Je ne veux plus d’ennui à l’avenir. Est-ce promis ? ». Je promets et m’en vais.

Comme je suis content. je passe à la 3ème voiture où tout le monde est très content, le Margis surtout. COURIOLLES voudrait me bouffer. Pendant l’après-midi, je déménage mes affaires. Naturellement, le Margis m’épluche consciencieusement et de mon côté, je lui rends la pareille. Mon avis que si je retombe un jour sous sa coupe, il va falloir faire gaffe. Vers le soir, nous sommes encore bombardés, mais sans mal.

Vendredi 6 octobre 1944 :  Nous partons vers l’arrière, je crois. Nous nous préparons, puis nous attendons. Il est 9 heures. A 11 heures, nous arrivons au village de St Pierremont juste après Magnières. Nous nous installons dans une grange.

Samedi 7 au mardi 10 octobre 1944 : Les jours s’écoulent monotones. Je suis très bien. Nous sommes une bande de copains. L’Adjudant est très chic avec nous. Depuis le 2 octobre de l’autre jour, il me serre la main chaque fois qu’il me voit.

Ce matin, il y a eu les nominations, aussi je suis morose. HUGUET passe Chef, LIZÉ Margis, BAYO Brigadier, SCHUMANN 1ère Classe, COURIOLLES est envoyé au Bri. Il parait que je dois passer pointeur et être nommé au prochain coup. Je ne comprends pas pourquoi BAYO passe avant moi. puisque j’étais le mieux classé des 2. Ce doit être un coup de COURIOLLES lorsqu’il était adjoint au Lieutenant.

Je ne suis pas jaloux du tout de BAYO, je l’aime bien, mais je suis un peu dégouté et j’ai le cafard. Le cafard m’a passé, ma gaieté a repris le dessus, mais je n’ai plus le même cœur pour le Peloton. Je me fous de tout, je me trouve de mieux en mieux avec le Margis SCHWALM.

Du 10 au Mercredi 18 octobre 1944 : Toujours à St Pierremont. Le courant est revenu et nous avons pu installer le petit poste que le Margis a fauché aux boches à « Pré-sous-la-Fauche ». Aussi, la vie a changé du tout au tout. Nous vivons littéralement en musique et nous ne nous endormons que très tard. A toute heure de la journée, il y a la moitié du Peloton dans la grange, écoutant languissamment du slow ou battant la mesure d’un swing plutôt frénétique.

Depuis quelques temps, nous avons l’appel tous les soirs pour faire le point où lire les notes lorsqu’il y en a. Toutes les nuits, je prends une heure de garde tout à fait tranquille. Chaque soir, à une heure différente, suivant le tour du Peloton. Hier soir, je l’ai trouvée délicieuse, sans casque, cheveux au vent, en pantalon avec la veste de peau de lapin que nous avons touchée dernièrement, la mitraillette témoignait seule que j’étais de garde. Je me suis promené de 10 heures à 11 heures, rêvant aux étoiles.

Hier après-midi, je suis allé en permission à Lunéville avec le Margis. L’après-midi a été délicieux. Je suis allé au cinéma après une facile conquête, Toutes les permissions se ressemblent.

Ce matin, ô surprise, à 5 heures du matin, LIZÉ nous réveille, BOURRETTE et moi : « Habillez-vous, vous partez en patrouille ». En 3 mots, il précise : " Les éclaireurs vont patrouiller, nous devons les soutenir avec une mitrailleuse ".

On s’habille assez chaudement. Nous sommes 8 : L’Aspi., LIZÉ,  BAYO, SCHUMANN, BOURRETTE, ABLES, BALLANT et moi. Pardon, nous emportons une 50 avec son trépied et 3 boites de munitions, de quoi vous claquer suffisamment. En effet, les éclaireurs partent devant, nous suivons. Il commence à pleuvoir. Ça monte, les champs sont pleins de boue. On fait 500 m. Je ne sais plus comment porter ma boite qui m’arrache le bras, me scie l’épaule. D’un côté, ma mitraillette glisse, de l’autre, la sacoche à chargeurs ne cède en rien son poids. Derrière, les indigènes soufflent comme des phoques avec la mitrailleuse. Bientôt SCHUMANN et moi la prenons. BOURRETTE se cogne le trépied.

Ça monte, ça descend, de la boue, de la pluie, des barbelés à passer, une nuit d’encre. Je commence à trébucher. J’ai envie de vomir, J’ai l’épaule littéralement sciée. Une petite halte. SCHUMANN, la mitrailleuse et moi tombons avec un ensemble parfait. Il me confie qu’il a aussi envie de vomir, et pourtant nous sommes à jeun. Bientôt, on repart, et le calvaire, car c’en est un, recommence. Les dents serrées et la sueur au front, malgré le mauvais temps. Je commence à maudire l’Aspi. pour avoir pris la 50, alors que la 30 est justement faite pour ce genre de travail.

Enfin, nous arrivons. nous retombons par terre. L’Aspi. prend ses dispositions. Bientôt, tout le monde est placé. Je suis à la mitrailleuse avec BOURRETTE. J’enlève casque et tout le fourbis, car je suis certain qu’il ne va rien se passer. Avec BOURRETTE, on se relaye. L’un dort pendant que l’autre observe. Le reste est planqué aux alentours dans les sapins. Bientôt, il fait grand jour. Un timide soleil pointe. Nous rigolons et discutons BOURRETTE et moi. A 10 heures, les éclaireurs reviennent bredouilles.

Nous repartons. Je me cogne le trépied que je garde jusqu’à l’arrivée. Ce qui est un échantillon de ce qu’a dû être la retraite de Russie. Complètement meurtri, je me lave et on mange. Le soir, on s’est tous couchés, la patrouille est moulue. Le soir à l’appel, l’Aspi. a dit que les patrouilles de ce genre se répéteront. Si c’est avec la 50, je préfère déserter.

Du 18 au mardi 24 octobre 1944 : Avant-hier, le Peloton était de jour. Au village aussi, tout le monde a pris. J’ai pris le quart en haut du clocher de 12 heures à 2 heures du matin. Il faisait plutôt froid et j’avais un sommeil du diable. Il y avait du brouillard et on n’y voyait pas grand-chose.

A 6 heures du matin, j’ai fait la patrouille au village avec JACQUETY et 2 indigènes jusqu’à 7 heures, puis j’ai dormi jusqu’à midi. De 2 heures à 4 heures de l’après-midi, je suis remonté au clocher me geler, où j’ai lu un bouquin, en observant de temps en temps le paysage tout à fait pacifique.

Nous avons passé une très belle soirée avec des jeunes filles du village, chez une dame chez qui nous allons tous les soirs. Je devais prendre la garde de 5 heures à 6 heures, c’est à dire la dernière. Réveillé à 5 heures, je mis péniblement le nez dehors. Puis, comme j’avais toujours pensé que cette garde était stupide, je me suis recouché 

Nous devons partir aujourd’hui. Toute la matinée passe en préparatifs, puis nous attendons. Je crois que nous partirons tard, car nous devons prendre position qu’à la nuit. A 2 heures, l’Aspi. m’appelle. Il faut vidanger le radiateur, puis le remplir avec le liquide antigel, puis placer les chaînes aux roues. En une demie heure, je termine, aidé des 2 indigènes, puis nous passons l’après-midi chez Germaine, avec le poste et un succulent chocolat au lait.

Après beaucoup d’effusions, nous sommes partis et nous avons foncé dans la nuit tombante, retardés par un croisement défectueux, où une jeep nous avait cognés, après avoir dérapé. Je fonce, accélérateur à fond. Nous rions, car la voiture dérape dangereusement. Me croyant sur de moi, tout l’équipage se marre.  Tandis que moi, je ris jaune, sans ralentir tout de même. Enfin, nous les rattrapons. La voiture daigne m’obéir.

La relève s’effectue à la nuit noire et nous garons les véhicules dans un bois à 200 m. des emplacements de mitrailleuses. Ça patine, ça patine, ça passe quand même à 3500 tours en réducteur. Je croyais que tout allait sauter. Nous montons les guitounes comme nous pouvons, Puis, tout cela dans la boue jusqu’aux chevilles. On en a plein partout. BOURRETTE et moi montons la garde à une 50, de 7 heures du soir à 12 heures. Un dort pendant que l’autre veille, puis ce sont les 2 indigènes, et nous nous endormons, roulés dans les couvertures maculées de boue.

Mercredi 25 octobre 1944 :  Toute la journée se passe a camoufler savamment tant les guitounes que les mitrailleuses et les autos, avec une courte sieste à l’appui. Cette nuit, notre pièce est de repos. Nous dormons toute la nuit dans un abri en tôle et avec de la paille.   

Jeudi 26 octobre 1944 :  La pièce est de guet. Après un jus vivement avalé, nous partons à 7 heures avec une 30 et les armes individuelles. Nous allons nous placer à 500 m. sur la crête, dans un petit bois. Je prends la 1ère faction de 7 heures à 10 heures. Il fait froid. Nous avons les pieds humides depuis 48 heures, mais nous rions et plaisantons quand même.

A 10 heures, je descends faire la popote, puis je leur porte à 12 heures. Ensuite, sieste dans une petite cabane construite avec des sapins, hier, par la 1ère pièce. Puis je redescends faire le souper. Le temps est couvert à perte de vue. De tous les côtés, c’est de la boue et des arbres.

Depuis que nous sommes ici, nous avons juste subi quelques tirs d’artillerie, mais à 500 m. au loin. La nôtre tire au-dessus. J’ai pris une faction tout à fait tranquille de 6 heures à 8 heures du soir, puis, je me suis couché pour reprendre la garde de 2 heures à 4 heures du matin. Garde assez délicate, où je croyais entendre du bruit. Je ne voyais plus la fin. C’est long 2 heures, lorsqu’on a l’esprit tendu.

Vendredi 27 octobre 1944 : Je me suis levé à 8 heures, et BOURRETTE, qui a commencé la garde à 7 heures, m’a porté le chocolat au lit. La journée se passe très calme. Je me lave et me rase avec délices, ce que je n’avais pas fait depuis 3 jours à cause du manque d’eau. Il est 4 heures. La 1ère pièce qui a mis son mortier à terre, règle son tir sur un passage stratégique. La nuit dernière, une patrouille boche a terrassé 4 Américains, 2 kms derrière nous.

J’ai pris la garde de 6 heures à 8 heures. Le Peloton discutait quand la sentinelle de l’autre mitrailleuse nous avertit qu’il a entendu parler et 1 casque tomber dans le petit bois à côté. Tout le monde prend ses dispositions, mais il ne se passe rien. Tout le monde se recouche. Au bout d’un moment, le Margis LIZÉ me dit : « Je vais aller reconnaître la haie en face. Faits attention et ne me tire pas dessus ». La mitraillette au poing, l’esprit tendu à l’extrême, sentant les ténèbres de toute l’intensité dont je suis capable, je le suis, légèrement en avant, du haut de mon canon. Bientôt, toujours en rampant, il s’estompe. Je reste en arrêt. Puis, il revient au bout de 5 minutes, un peu essoufflé.

A 8 heures, je me couche. Au bout d’1 quart d’heure, une série de coups de feu, mitrailleuse comprise, se fait entendre sur notre gauche. Puis tout se tasse. Au moment où je vais me rendormir, le Chef vient nous dire que c’est une patrouille boche qui a attaqué les avant-postes de l’artillerie. Il y a 2 blessés.

Je reprends la garde de 2 heures à 4 heures. C’est la plus pénible de mon temps dans l’armée. Il pleut à torrents, il vente terriblement, je suis trempé, les pieds me font mal, tellement ils sont gelés. Et je reste 2 heures comme cela. La relève arrive enfin. Je peux à peine marcher. j’enlève souliers et chaussettes et je m’enveloppe du mieux que je peux, et je m’endors tant bien que mal.

Samedi 28 octobre 1944 : La journée se passe à faire des travaux : défrichage de haies, palissades avec barbelés, etc… Le soir, il arrive 2 nouveaux. 1 à notre voiture, 1 à la pièce de commandement. Il parait que celui de notre voiture va faire pointeur. Je suis mauvais. Le soir à table, le Margis me dit qu’il avait vu l’Aspi. et que je serai pointeur et fonctionnaire, Brigadier ANDREWS serait pointeur. Nous avons très mal dormi, car les mitrailleuses ont tiré toute la nuit. Il n’y a pas eu de blessés, malgré que les boches aient tiré avec un F.M.

Dimanche 29 octobre 1944 : Nous partons au guet, même topo que la dernière fois, à part que j’ai les pieds gelés. La journée se passe sans incidents. Le soir, je prends pour la 1ère fois les fonctions de Brigadier. Je fais chef de poste de 12 heures à 3 heures. Je blague avec les sentinelles de temps en temps, puis je fume 1 ou 2 cigarettes dans la guitoune. J’effectue la relève normalement, puis après avoir réveillé le Margis, je me couche à 3 heures. Quelques coups dans la nuit.

Lundi 30 octobre 1944 : Réveil 8 heures. Chocolat au lit. La journée se passe calmement. Je suis chef de poste toute la journée. La nuit, je prends le quart de 3 heures à 6 heures. Rien d’anormal.

Mardi 31 octobre 1944 : Nous devons tirer aujourd’hui. A 6 heures ½, tout le monde debout. Nous nous préparons et nous partons au sommet de la colline. Ça me fait tout drôle d’être à l’arrière et de voir un autre conducteur. Bientôt, nous nous plaçons pour aligner la carriole. C’est difficile, car la voiture dérape dans la boue. Je prends le volant, car ANDREWS y arrive mal.

A 8 heures, le tir commence. Pendant toute la matinée, ça crache de tous les côtés, l’artillerie, les chars, etc… Car il y a une attaque. Je vise, j’ajuste et je donne de la manivelle. L’huile, le mortier, je n’arrête pas. C’est dommage que l’on ne tire pas sur un objectif fixe, j’aurais pu en boucher un  coin à l’Aspi. qui m’est de moins en moins sympathique.

A 11 heures, nous terminons, tout le monde s’en va. Il ne reste que notre Peloton au pont d’appui. Qu’est-ce qu’on va se cogner comme garde ce soir. Durant l’après-midi, nous touchons les munitions et nous arrangeons la voiture. La nuit se passe normalement. Je passe le quart de 2 à 4 dans la guitoune, car il gèle terriblement.

Mercredi 1er novembre 1944 : Nous démarrons à 10 heures du matin et nous rejoignons le P.C. au patelin plus bas. Bientôt, tout le monde démarre. Le Margis prend le volant, car ANDREWS se débrouille très mal. Nous repassons Flin et Ménil-Flin, puis plusieurs villages où les Allemands ont tout saccagé. Bientôt, le P.C. s’arrête et les Unités de combat continuent en baroud. Nous prenons les dispositions de combat.

JMO 7Extrait des J.M.O.

Je suis en rogne, car le Margis me fait prendre le volant, alors que j’avais préparé la mitrailleuse à l’arrière. Nous baroudons jusqu’au soir, mais nous n’avons pas à intervenir. La conduite est très dure, car les  véhicules s’enlisent. Dans ce terrain, la plupart des véhicules, à part les chars, y restent. Tour à tour, PLANCHAT, SCHUMANN et BILA y restent. Je ne sais comment je m’en sors.

Dans un grondement de tonnerre, je fonce en 2ème réduite, vers un petit chemin dur. J’ai les bras coupés, car le volant a des retours terribles. Avec le câble, je dépêtre la « Seine » qui dépêtre la « Garonne » . Pour PLANCHAT, il faut le char de dépannage. A la nuit tombante, nous prenons position à un carrefour, près d’une ferme abandonnée, où, avec les fusiliers marins, nous installons des mitrailleuses. Notre pièce, nous nous cachons dans une cabane où nous avons mis de la paille. Je passe une bonne nuit. L’artillerie fait rage des 2 côtés depuis le matin. Par moment, la cabane tremble sous le souffle.

Jeudi 2 novembre 1944 : Mauvais réveil. BAYO et moi prenons la garde de 7 à 9. Nous sommes tous deux en rogne. Il pleut, la journée s’écoule monotone. Tout a cessé, même l’artillerie. Je crois que l’attaque a stoppé.

A 4 heures, nous sommes partis brusquement dans un village abandonné à une heure de là, et nous nous installons dans les maisons. Il y a un fouillis inimaginable, car les boches ont tout fouillé et tout saccagé. Tant bien que mal, nous soupons et nous installons pour la nuit. Comme c’est moelleux un lit. Je prends la garde de 6 heures à 7 heures ½. Au retour, je prends un chocolat terrible, dans un bol tirant plutôt, sur le pot de chambre.

Puis au travail, nous nettoyons et arrangeons le tout. Je dors avec le Margis au premier, dans une chambre assez moderne. BOURRETTE et  ANDREWS ont une chambre au fond, et les indigènes, la leur, droite. A gauche, une spacieuse salle à manger. Au centre, une grande cuisine avec cuisinière et tous les ustensiles en abondance d’une maison campagnarde.

Puis, nous avons fouillé les autres maisons pour retirer tout ce qui nous sert, puis nous nous sommes préparés un repas monstre, car après une série de crosse et de plongeons à travers le village, nous avons 5 poules, 6 lapins et 1 cochon de lait.

Vendredi 3 novembre 1944 : La journée passe en éclair. L’après-midi, nous prenons tous un bain à l’eau chaude et je me change entièrement. Il y avait 15 jours que je ne l’avais pas fait. Comme on se sent bien Installés dans la salle à manger où le poêle ronfle, je chante à tue-tête en faisant mon courrier, car je deviens fou, je viens de recevoir 7 lettres. Nous nous sommes couchés avec délice dans des draps.

Samedi 4 novembre 1944 : Nous sommes montés en position à 5 heures du matin, puis nous avons tout déchargé : obus, mortiers, guitounes, car les voitures ne pouvaient rentrer dans les bois. Les derniers sont revenus au village avec les conducteurs, tandis que toute la matinée, nous allons et nous venons pour amener tout le nécessaire au lieu de batterie.

JMO 8Extrait des J.M.O.

A 11 heures, j’étais complètement épuisé par ces allées et venues dans la boue avec des charges terribles sur le dos. Tout le monde était claqué. L’après-midi, nous mettons le mortier en batterie et montons les guitounes, quand nous apprenons que nous, 3ème pièce, nous allons redescendre au village pour 48 heures de repos, et ainsi de suite chaque pièce. Tout heureux, nous refaisons nos préparatifs. Et à 6 heures, à la nuit, nous repartons en Dodge. Nous ne nous installons pas dans la même maison où nous étions, mais nous sommes assez près.

Dimanche 5 novembre 1944 : Réveil 8 heures ½. Au travail. Il faut réviser les armes, préparer un repas formidable, etc… L’après-midi, j’écris. L’artillerie fait un boucan terrible. De temps en temps, nous essuyons un ou 2 tirs. Le soir, nous apprenons que nous changeons de village. Le lendemain, je suis en rogne. Je commence à en avoir marre de nettoyer des maisons. Je soupe avec les conducteurs : Lapin rôti, frites et pommes cuites au sucre. Le lit est trop moelleux, ça ne fait rien.

Lundi 6 novembre 1944 : A 9 heures, nous partons. Les 4 voitures ressemblent à des marchés aux puces. La nouvelle maison n’est pas mal. Nous nettoyons un peu, mangeons, puis, faisons les préparatifs pour remonter en ligne ce soir.Il pleut à torrent, on va s’amuser.

A 5 heures ½, nous avons embarqué sur les dodges chargés à claquer. Nous arrivons. Il faut trimbaler les affaires, et il y en a dans la boue et l’obscurité. La pluie a cessé heureusement. Nous nous installons et nous couchons tant bien que mal.

Mardi 7 novembre 1944 : Il pleut. Je fais le jus comme je peux, puis tout le monde disparait dans les guitounes pour ne plus en sortir de la journée. Comme je suis chef de poste de temps en temps, je gueule pour appeler le suivant.

J’ai omis de dire que durant la nuit, il y a eu 1 petite alerte. Nous sommes tous sortis armés, mais il faisait noir comme dans un four. Nous avons tous peur de nous tirer entre nous. Heureusement, les boches ont foutu le camp. Hier, des coups de carabine de la sentinelle.

J’ai pris le quart de 2 heures à 4 heures ½ et je me suis fait du mouron pour trouver la guitoune des types à l’heure de la relève. La nuit a été calme, mais il a plu tout le temps, presque tout le monde est trempé et a de l’eau dans la guitoune.

Par miracle, la nôtre, BOURRETTE et moi, n’en a pas encore. Le Rigner est venu pour débourber un light et 1 Half-track enlisé. Ils n’ont pu sortir que le char pour le  moment. Je me suis couché après mon quart. en proie à une colère folle. J’ai tout enlevé : souliers, chaussettes, pantalon. J’ai tout tordu. Puis maudissant la guerre, les boches, les Vosges et la pluie et moi-même, je me suis roulé dans les couvertures, jurant bien que personne ne m’en ferait sortir.

Nous avons essuyé un bombardement d’artillerie assez près. Pendant mon quart, j’ai tenu compagnie à MARTIN qui est complètement découragé et très fatigué.

Mercredi 8 novembre 1944 : Je me suis levé de très mauvaise grâce. Faire le jus en caleçon et pieds nus dans les souliers ! J’ai séché un peu mon linge au dessus du feu. La pluie a daigné s’arrêter pour le moment. De tous les côtés, ça gueule. Presque tout le monde change sa guitoune de place. La journée passe très vite, allongés dans la guitoune. La nuit, je prends le quart de 2 heures à 4 heures ½.

L’atelier qui est venu sortir le Half-track embourbé, a fait un boucan formidable avec ses câbles et ses treuils. Je me suis fait des nœuds pour trouver la guitoune des types à réveiller, surtout qu’ils étaient des anti-chars à côté de nous et que je ne les connaissais pas. Après une demie heure de vadrouille dans les ténèbres les plus obscures, cognant tous les sapins de la forêt, je réussis à les trouver. Puis les guidant par la main, je les emmenai aux mitrailleuses. Je me suis couché à 4 heures ½, les pieds complètement gelés, encore heureux qu’il n’a pas plus

Jeudi 9 novembre 1944 : La journée passe très vite. Il ne pleut pas, mais nous restons dans les couvertures. Je prends le quart de 5 heures à 9 heures du soir. Lorsque je finis, je ne sens plus mes pieds tellement ils me font mal.

Vendredi 10 novembre 1944 :  Même journée, sinon à 3 heures, je fais 20 ans, ce qui me fait tout drôle. A 5, nous nous préparons et à 5 heures ½, c’est la relève. Tous les propos joyeux qui s’échangent entre ceux qui montent tous frais et rasés, et ceux qui descendent, sales et fatigués.

En arrivant au village, nous déposons nos affaires et nous allons manger chez les conducteurs qui accueillent ainsi à chaque fois les équipages qui descendent. Nous sommes 15 à table. Le souper de mon anniversaire n’aura pas été funèbre, loin de là.

Samedi 11 novembre 1944 : Grasse matinée, grand bain, repas copieux, correspondance interminable. Tel est l’emploi du temps de la journée.

Dimanche 12 novembre 1944 : C’est la fête, les copains m’embrassent. Nous faisons un repas plutôt copieux, avec tartes et brioches. Déjà que le chocolat du matin n’avait pas été restreint. Nous ne pouvons pas bouger. A 4 heures, nous nous préparons pour remonter à 5 heures. La relève, comme d’habitude.

Le transport pénible des 4 ballots dans la boue, puis l’installation pour la nuit dans les ténèbres les plus noires. Nous ne sommes que 4 gradés, aussi je prends le quart de 9 heures à 12 ½. L’artillerie est formidable, comme je n’en ai jamais vue, ni entendue. Surtout, c’est un véritable roulement. Il parait qu’il y a 1 canon tous les 20 m, car les Américains attaquent demain matin. Cela dure toute la nuit. Au matin, tout est blanc.

Lundi 13 novembre 1944 : Je suis ravi de voir cet immense  manteau blanc sur tous les sapins et ces champs. Je marche avec mes sabots, comme un enfant quand il fait ses premiers pas.

Après le jus, nous tirons au mortier. Je pointe, Le Margis charge. Nous avons eu une peur terrible. Il a failli placer un obus à l’envers. La plaque de base disparait littéralement sous terre, et bientôt nous devons arrêter, car le mortier baisse vraiment trop. Après beaucoup de difficultés, nous réussissons à déterrer la plaque de base.

La journée se passe à lire sous la guitoune. L’après-midi, je fais les relèves. A 5 heures ½, 2 Dodges et le Half-track de HUGUET arrivent. C’est le grand départ. Nous déballons tout : guitounes, etc…C’est un drôle de boulot. Nous chargeons les bagnoles n’importe comment, puis nous partons.

1 heure après notre arrivée au village, on s’aperçoit que l’on a oublié une mitrailleuse de 30 de la 2ème pièce. Comme leur voiture ne peut pas sortir, c’est la mienne qui y va. Nous partons donc LIZÉ, BOURRETTE, BILA et moi. LIZÉ éclaire la route avec sa lampe. On n’y voit rien. Je manque de justesse un poteau, puis je passe un virage et un point, encore de justesse. Enfin, nous arrivons. Je conduis avec la tête hors de la portière. Ça me rappelle le bon vieux temps de la Normandie.

Au retour, sans incidents, c’est des cris, car tout le Peloton était là et on ne sait comment dormir. Enfin, après maintes bagarres, tout le monde est casé. Je dors dans le grand lit avec BOURRETTE et BAYO. Je crois que nous partons demain pour Saverne, un grand baroud. Le souper a été joyeux, la veillée aussi, et le coucher encore plus. Comme dans toutes les occasions où il y a du chambardement.

Mardi 14 novembre 1944 : Pas de départ, pas de réveil, On se lève donc à 9 heures. On tente de mettre de l’ordre, puis on prépare un immense repas que nous n’avons pu terminer. L’après-midi, correspondance, puis souper très joyeux comme tous les repas où l’on est toujours 9. Excellente nuit.

Mercredi 15 novembre 1944 : Réveil 9 heures, chocolat, puis, grand nettoyage. Je me cogne une vaisselle terrible pendant 1 heures, puis je dirige la popote. La journée se termine normalement.

Jeudi 16 novembre 1944 : Nous partons à 6 heures pour Ogéviller, patelin très proche où nous arrivons au crépuscule. Tout le monde s’installe. Je branche aussitôt la lumière dans la cave, où notre pièce est cantonnée, nous avons des lits, un poêle, une table. Cette cave avait du servir d’abri aux civils. Je prends le quart de 4 à 6, très agréable en lisant près du poêle.

Vendredi 17 novembre 1944 : Je passe le temps à faire de la popote. Mouton, frites, lapin, etc… J’écris ou je lis. Je prends le quart de 8 heures à 10 heures en blaguant, car personne n’est encore couché. Ces temps-ci, l’Aspi a l’air très aimable avec moi. Je ne sais ce qu’il a.

Samedi 18 novembre 1944 : Nous sommes toujours en instance de départ. Levé à 9 heures, j’ai dormi comme un loir. Depuis 3 jours, on n’entend plus rien. Ni artillerie, ni mitrailleuses. Juste l’aviation qui patrouille dans les environs. Nous démarrons à 7 heures du soir pour un village peu éloigné où nous trouvons une maison très présentable.

Dimanche 19 novembre 1944 : Nous partons en baroud à 3 heures du matin. Rien d’intéressant. Nous suivons la colonne toute la journée. Les ambulances vadrouillent, il y a pas mal de blessés. Nous stoppons dans une forêt et dormons sur place. Je me couche sur le capot avec le Margis. La nuit fut paisible.

Lundi 20 novembre 1944 : Nous repartons assez tôt. La journée fut mouvementée. Nous ne nous sommes pas battus, mais l’artillerie a canardé la colonne toute la journée. C’est miracle que nous n’ayons pas été touchés. Un obus, près de la voiture, m’a soulevé le casque en me faisant tomber dans la voiture. 

A un arrêt, où debout je regardais l’enterrement d’1 mort sur le bord de la route. Un peu plus loin, debout dans une grange où nous nous délassions un peu, un obus arrive. Le type à côté de moi s’affaisse, touché au flanc. Nous l’embarquons dans 1 jeep. Il était le seul à ne pas être du Peloton…

Vers 5 heures, nous devions prendre une pièce anti-chars aux biffins. Nous étions tous sur 2 chars, prêts à partir, quand l’ordre arrive de repartir. Nous sommes grognons. Nous regagnons nos voitures.

Je suis énervé, car il faut rouler volets baissés et je n’aime pas être enfermé. Nous arrivons dans un village à la nuit tombante et nous couchons dans une grange. Je prends le quart de 3 heures à 5 heures. BOURRETTE énervé, a lâché une rafale sur quelque chose qui a bougé, soit disant. Je l’ai engueulé doucement en lui recommandant de ne pas s’affoler pour n’importe quoi. Je crois qu’il devient froussard depuis quelques temps.

Mardi 21 novembre 1944 : Au petit matin, les braves gens nous servent le café et nous démarrons Les gens nous acclament beaucoup,  mais ils sont plutôt réservés dans ce pays. Nous sommes en Lorraine et ils parlent tous boche.

Le baroud repart. Les boches se débinent en vitesse, car sur les routes gît tout un matériel abandonné. La voiture de commandement nous a laissé, car elle a un éclat dans un pneu. A un arrêt, nous récupérons une moto que nous arrivons à mettre en marche. L’Aspi. est tout fière et vadrouille avec dans tous les coins.

Vers 3 heures, il nous appelle en vitesse. Nous doublons la colonne à toute pompe et devant le char de pointe, nous tirons pendant un quart d’heure. Les Spahis ont dérouillés, il y a 3 AM de foutues et 9 blessés et 3 morts. Ils ont quand même foutu une Panthère en l’air sur 3.

Après le tir, nous cassons la croute gaiement, quand 2 zincs boches arrivent à toute pompe. Tout le monde plonge dans les fourrés. Je veux tirer à la 50, mais tous gueulent que lorsque l’avion ne nous voit pas, il faut le laisser tranquille. Je boue, mais ni l’Aspi, ni mon Margis ne sont là. Je n’ose prendre l’initiative. Bientôt, la D.C.A. crache et les 2 boches s’enfuient. Plus tard, je demande mon Margis et à l’Aspi. si j’avais pu tirer et devant leurs réponses affirmatives, je me maudis moi-même de ne pas avoir obéi à mon impulsion. Le Margis aussi regrette de ne pas avoir été là. C’est tellement passionnant de tirer sur un avion.

A 4 heures ½, nous repartons dans une autre direction, à l’assaut de je ne sais quel col. La conduite devient très dure. La nuit est noire, la route dangereuse, serpente le long de profonds ravins. Beaucoup de véhicules glissent et s’arrêtent à temps. Ils attendent tous le dépannage. Par 2 fois, au cri du Margis, je freine, pile à 2 doigts du ravin. SCHUMANN zigzague dangereusement et son feu rouge me trompe. Enfin, à 9 heures du soir, nous stoppons, et c’est encore une nuit sur le capot. Je n’ai presque pas dormi. Il a fait très froid. Les sentinelles me réveillent pour me demander l’heure.

Mercredi 22 novembre 1944 : Nous repartons. Je crois que nous devons prendre Saverne par derrière, nous redescendons dans d’admirables suites. Il est 9 heures ½, nous sommes arrêtés. Les chars patrouillent en tête. La journée est assez mouvementée. Sur les bords de la route, il y a plusieurs alertes, mais les isolés nous glissent toujours entre les mains.

Nous rentrons dans Saverne à 2 heures. C’est alors la chasse à l’homme dans les caves ou greniers, le pétard du Margis au poing, car ce dernier est parti de l’autre côté avec ma mitraillette. Je vois même 2 boches dans une cave plutôt terrorisés que belliqueux, puis j’en maintiens toute une bande en respect, car ils arrivent de tous côtés. A la fouille, tout le monde tape les montres. Je n’ose prendre part à cela. Je ne sais pourquoi. BOURRETTE, moins scrupuleux, me refile une montre, car Il en a tapé 4. Les civils sont fous de joie. C’est un peu le défilé de Paris.

JMO 9Extrait des J.M.O.

Nous repartons. Bientôt la nuit arrive. Nous couchons dans une auberge à la sortie de Saverne. Je dors dans un lit avec le Margis après avoir pris le 1er quart de 7 à 9.

Jeudi 23 novembre 1944 : Nous partons sous la pluie qui dure toute la journée. Nous prenons tout ce que nous pouvons sur les voitures, bâches abandonnées. J’ai des bottes, un imperméable et une épée baïonnette poignard.

A 10 heures, nous stoppons. Ça bagarre ferme, malheureusement, pas de mon côté, et j’enrage mitraillette au poing dans mon secteur, tandis que les balles sifflent à 50 m. à droite. Après la bagarre, on s’interroge les 2 autres pièces ont fait 5 prisonniers et ont détruit un FM. BAYO a été blessé à un pouce. Tout le monde le croyait mouché.

Nous redescendons à 4 heures à Saverne, où nous nous installons dans une espèce d’usine pour la nuit, après un excellent jus, car le ravitaillement est arrivé enfin, après 5 jours d’absence, où nous avons presque épuisé toutes les réserves. Jusqu’à 10 heures du soir, réunis autour de PLANCHAT qui joue de l’harmonica, nous chantons de jolis chants par besoin de délassement sans doute. Nous séchons lentement, car nous sommes trempés jusqu’aux os. Je passe une excellente nuit sur le haut d’une batteuse recouverte de foin.

Vendredi 24 novembre 1944 : Réveil 7 heures. Encore un jour courbaturé. Puis, c’est les grands préparatifs. Je crois que nous partons pour Strasbourg, car une partie de la Division a franchi le Rhin. Nous démarrons sous la pluie vers 11 heures, pour arriver, à toute allure, à 2 heures à Strasbourg. Après un long arrêt, nous prenons nos cantonnements.

Strasbourg 2

FONDS LECLERC ALS 15029 Strasbourg jeep

Devant la cathédrale de Strasbourg. à gauche l'Aspirant André NOBLE, à droite le Lieutenant Hubert CHEVALLIER,

commandant le Peloton d'Éclaireurs, sur le jeep "La Nonnette"

Le Peloton est installé dans un magnifique appartement antérieurement occupé par les boches. Les civils, quoique réservés, nous accueillent avec joie et s’offrent à nous cuire nos repas. Nous avons fait les fous jusqu’à 1 heure du matin, avec la musique du poste pour nous entrainer. Avec SCHUMANN, j’ai particulièrement mené la danse, en se déguisant et en faisant les pitres à qui mieux mieux. J’ai pris le quart de 2 heures à 4 heures ½. Puis, j’ai dormi comme une brute.

Samedi 25 novembre 1944 : Nous nous préparons, car nous changeons de quartier. Nous prenons nos cantonnements définitifs. Chaque Peloton est installé dans une villa qui sont toutes des espèces de petits châteaux très luxueux avec tout le confort moderne.Je ne sais combien de salons, chambres, salles de bains, offices, cuisines, etc, etc… Nous nous lavons, changeons, cuisinons au gaz. Il y a 4 postes de T.S.F. dans tous les coins. C’est la vie de château. Je prends le 1er quart de 7 heures à 10 heure, puis nous nous endormons en musique.

Dimanche 26 novembre 1944 : A 7 heures ¼, j’emmène les hommes de garde avec la voiture, puis après une longue toilette, je vais à la messe au P.C. installé dans une ville encore plus magnifique. Puis, la journée passe, lisant, fumant au son du poste. Le Chef fait sauter un plomb et nous passons 2 heures à trouver l’endroit de la panne que je découvre enfin camouflé derrière une glace. Il est 8 heures du soir. J’écris seul dans un salon, sur une petite table, tandis que la T.S.F. sur la cheminée, que j’ai baissé le plus possible, me plonge dans une douce béatitude. Mon quart finit à 11 heures, je me couche.

Lundi 27 novembre 1944 : Je suis chef de poste au canal, avec 4 de nos types, 4 des éclaireurs et 1 Sous-officier. Nous partons à 7 heures en Half-track. La mitrailleuse est placée en face d’une villa où nous logeons. Le temps passe agréablement. Repas au Champagne trouvé dans 1 placard. A 2 heures ½, on vient nous chercher subitement. On part. 2 heures après, parés, nous décampons  pour arriver à la nuit dans un petit village à 10 kms de Strasbourg, où nous dormons dans une grange. Quart de 2 à 4, où je dors.

Mardi 28 novembre 1944 :.Nous attaquons en direction de Colmar. Nous baroudons toute la journée pour s’arrêter à la nuit dans un patelin. Nous nous transformons en pompiers pour sauver ce qui reste de 2 maisons en flammes. Je ne suis pas de garde. Les habitants sont au poil. Après avoir soupé à table, je dors dans une chambre tout seul.

Mercredi 29 novembre 1944 : La journée passe inactive. Nous restons au patelin. Le soir, je pars au poste de garde avec PLANCHAT et 8 hommes. Nous sommes dans la dernière maison du village. La mitrailleuse est à 20 m devant. Je prends le quart de 6 heures à 7 heures, mais je reste dans mes couvertures, car nous dormons tous dans la maison, et les hommes de garde ont une montre. A 4 heures du matin, une arrivée de train bleu fait tout trembler. Comme j’ouvre un œil, je reçois une louche sur le crâne, car nous dormons dans la cuisine. Je ne bouge pas, prudemment, attendant la suite de la batterie de cuisine. Mais, cela s’arrête là. Ça beugle dans toute la maison. D’autres ont reçu des cadres, d’autres du plâtre, etc…

Jeudi 30 novembre 1944 : Nous partons en tête avec 2 chars, car nous devons protéger le Génie qui établit un pont. Nous réglons le tir. Je pointe pile. L’Aspi. rectifie la hausse, le 2ème est au poil. Le réglage est fini.

Nous fumons et blagons dans le fossé, quand des sifflements nous couchent au sol pour un quart d’heure. L’artillerie boche fait des siennes. Les éclats sifflent partout. Le plus près tombe à 20 m. Douche copieuse de terre et autres débris, le plus loin à 100 m. Tout le monde est sauf. On casse la croute en riant.

Tout à coup, un autre, je m’accroupis dans l’auto. Ouf, il est passé. Je n’ai pas fini de faire ouf, que tout le monde redescend. Cette fois, c’est un bruit assourdissant. Je suis couvert de terre et de débris. Je suffoque dans la fumée. Je me lève, je cherche le trou. Je bondis, car il est sur la route à 2 m de la voiture, or les relais des obus prêts pour le tir à côté sont en train de flamber. Le Margis s’en aperçoit en même temps. Il gueule « la voiture ». Je passe la 2ème, le moulin ne veut pas démarrer. Enfin, ça y est. Je fonce à 50 m. de là. Les relais se sont éteints, nous constatons les dégâts : Tout un côté de la carriole a été touché et criblé d’éclats, le coffre arrière est transpercé, la mitraille de 30 foutue, la poignée de la portière enlevée. Ô stupeur, un éclat passant par le coffre ouvert a traversé mon dossier sans me toucher. Tout le Peloton s’extasie sur ma veine.

1 heure après, le pont est fait. On passe, on avance lentement jusqu’à la nuit. L’artillerie nous sonne constamment. Nous passons la nuit sur le capot.

Vendredi 1er décembre 1944 : Avance lentement. Le Génie ne cesse de faire des ponts. Nous descendons à pied garder un carrefour où un pauvre boche, terrorisé par une rafale de mitraillette, dès qu’il fut aperçu, veut quand même se rendre. A 3 heures, nous rentrons au patelin. J’ai une chambre avec BAYO. Les civils font la popote. Je suis rasé et lavé. L’artillerie boche nous sonne. J’ai reçu des lettres, La vie est belle. Nous faisons un souper formidable. Je prends le quart de 8 heures ½ à 11 heures, puis je passe une excellente matinée, malgré que l’artillerie nous sonne toujours.

Samedi 2 décembre 1944 : Après un excellent jus, nous démarrons pour retourner au carrefour de la veille où nous nous installons dans l’auberge. Nous préparons un excellent repas très animé, où tout le monde est de bonne humeur. Nous sommes dans une salle avec la p. de c. La 1ère est dans la cuisine. Sieste, puis souper aussi gai. Je prends le quart en lisant de 12 heures à 2 heures.

Dimanche 3 décembre 1944 : Réveil et jus. Messe à 9 heures au village. A 2 heures, nous retournons au village, relevés par les Fusiliers Marins. Nous tombons chez des gens très gentils où nous avons une grande pièce pour nous seuls. Les civils nous préparent la cuisine. Quart de 4 heures à 10 heures ¼.

Lundi 4 décembre 1944 : Le temps passe vite. Grande toilette, lavage, etc… A 4 heures, je démonte ma roue pour la porter au dépannage. Nous y travaillons jusqu’à la nuit, sans la finir. Je suis brisé. car c’est un boulot monstre. Les bras me font mal de manier la masse. Quart tranquille de 10 heures ¼ à 12 heures ½.

Mardi 5 décembre 1944 : A 10 heures ma roue est terminée, je la replace. L’après-midi, je dors. Le Margis et BOURRETTE vont pêcher à la grenade dans l’Ill. Quart de 12 heures ½ à 3 heures.

Mercredi 6 décembre 1944 : Le matin, nous nettoyons nos armes en discutant gaiement. Je démonte tellement bien la mitraillette jusqu’au plus petit ressort que je reste une ½ heure à la remonter, non sans quelques sueurs. De 11 heures à 5 heures, nous astiquons la voiture, pardon, elle en avait besoin. On sent les ordures à pleines narines. Ce soir, nous n’avons pas de garde. Nous partons demain au repos dans un petit village.

Jeudi 7 décembre 1944 : Nous partons à 7 heures, il fait nuit, pour arriver au petit jour, à 15 kms de là, à Goxwiller. J’ai beaucoup aimé cette conduite dans l’aube naissant, à toute vitesse, quoi que la voiture, à certains moments, frisa un peu trop le fossé, au plus grand effroi de l’équipage. En plus, le feu rouge bouzillé par un éclat, ne fonctionne pas à chaque arrêt. Les freins des anti-chars derrière, gémissaient à fendre l’âme pour stopper pile.

A 10 heures, tout le monde est installé. Les civils sont toujours aussi chics. Nous avons une belle chambre au 1er, où je dors dans des draps avec le Margis, les autres sur des matelas par terre. Le temps passe. Lavage, bricolage, surtout correspondance. Après une belote acharnée, j’écris jusqu’à la nuit, où je me couche parmi des ronflements rassurant sur la tranquillité des consciences.

Vendredi 8 décembre 1944 : Réveil 9 heures. Chocolat. A 12 heures, on n’a pas trop faim, et puis les civils nous font vraiment trop à manger.

Lundi 11 décembre 1944 : La vie s’écoule calme et reposante. Qu’on est loin de la guerre. Même pas le bruit du canon. Avant-hier après-midi, nous sommes montés en excursion, 2 Dodges 1 GMC, au Mont St Odile. Ce fut une magnifique promenade dans un site enchanteur, où l’abbé nous a payé le verre et les gâteaux, après nous avoir fait visiter le monastère et raconté la légende.

Hier matin, l’Aspi. m’a appelé pour m’apprendre que j’étais nommé Brigadier à compter de ce jour, me demandant de me débrouiller pour trouver des galons sur le champ, et continuer à lui donner satisfaction. J’en fus très content, je m’y attendais qu’à la fin du mois, tout le Peloton a eu l’air heureux et m’a chaudement félicité. J’en fus quitte pour une tournée générale au bistro.

Aujourd’hui, nous avons travaillé ferme, car nous avons revue d’armes collectives et individuelles. Après souper, belote acharnée comme d’habitude.

JMO 10Extrait des J.M.O.

Mardi 12 décembre 1944 : A 12 heures ¼, nous apprenons que nous devons démarrer. A 1 heure, grand branle-bas. On mange en 4ème vitesse et nous démarrons. 1 Peloton de chars et nous seulement du 12ème, avec des F.F.I. et des marins. Le Margis conduit, je fais chef de voiture. Nous arrivons vers 4 heures dans un joli patelin, à 3 kms de Sélestat, où grosse émotion, nous trouvons des Français qui ne sont pas de le D.B. C’est 1 groupe d’observation d’artillerie du G6. Je retrouve 2 copains, ça discute ferme. Nous sommes très bien. Nous avons un petit appartement au premier. La dame nous fait à manger.

Mercredi 13 décembre 1944 : A 5 heures, nous démarrons pour changer de village où nous tombons encore très bien. Cette fois, nous sommes seuls dans une maison. Je prends la garde, je prends le quart de 3 heures à 5 heures.

Jeudi 14 décembre 1944 :  A 9 heures, je fais faire un emplacement pour la mitrailleuse avec 4 indigènes, puis nous nous ennuyons.

Dimanche 17 décembre 1944 : Le temps passe, monotone. Correspondance, carte et un peu de ballon. Demain, nous partons de bonne heure à Sélestat.

Lundi 18 décembre 1944 : Nous démarrons à 7 heures pour arriver à 8 heures à Sélestat, où nous relevons tranquillement les Américains. Une partie de la ville est bien démolie. Nous tombons dans une maison où il y a 28 personnes à la cave, dont 6 charmantes jeunes filles. Je crois que nous allons passer du bon temps.

Mercredi 20 décembre 1944 : Le temps passe très agréablement. En effet, les Alsaciennes sont charmantes. Hier, nous avons réglé le tir avec des fumigènes. Hier soir à minuit, une patrouille boche est venue, mais n’a pas insisté. Echange de quelques balles. Je ne me suis même pas levé.

Jeudi 21 décembre 1944 : Journée plutôt mouvementée. Après déjeuner, le Margis et moi discutions dans la salle à manger, quand un obus est tombé contre le mur, duquel je tournai le dos. J’ai senti une poussée formidable qui m’a projeté en avant, en même temps que j’entendais un bruit formidable. Je réalisais de suite et me sentant indemne, j’appelais le Margis et BOURRETTE. Je devais crier fort et ma voix me semblait très affaiblie. Enfin, le Margis me répondit en se relevant et BOURRETTE, juste des gémissements, où je ne voyais rien, car il y avait une fumée et une poussière très opaque. Hâtivement, je déblayais chaises, tables pierres.

Enfin, je le distinguais couvert de poussière et d’un peu de sang. Après l’avoir pris dans mes bras et trouvé la porte, non sans peine, je le portais sur la route, où les copains arrivaient en courant. BOURRETTE reprend un peu connaissance. Le Margis se trimbale. Je n’ai que des égratignures au visage. Le Margis, un trou à la tête et 2 à la jambe gauche, mais peu profond. BOURRETTE a des contusions un peu partout.

PLANCHAT sort sa voiture et toujours sous le bombardement, nous fonçons à l’infirmerie. On nous pousse. Le Margis et BOURRETTE sont évacués sur l’hôpital. En revenant, ZEMMA me lave et me brosse. Je ne me reconnais pas moi-même dans une glace, tant je suis plein de poussière. La soirée passe. La nuit, je ressens quelques courbatures. Pour le moment, je suis chef de voiture.

Vendredi 22 décembre 1944 : Journée calme. Court bombardement.

Samedi 23 décembre 1944 : Nous sommes bombardés sans mal 2 fois dans la journée. La nuit une alerte, mais sans résultat.

Dimanche 24 décembre 1944 : Journée mélancolique pour Noël. Avant le souper, nous nous retrouvons pour un court apéritif. Je prends le quart juste à minuit. Il fait froid. 

Lundi 25 décembre 1944 : Journée plus gaie. Nous faisons de grands repas, gâteaux, tarte. Musique avec un phono et quelques disques trouvés dans une maison. Les derniers civils s’en vont aujourd’hui. Dans la nuit, 3 alertes sans résultats. Je passe les 2 heures de quart dehors, car il y a un tas de bruits incertains. Il fait froid et un clair de lune magnifique.

Mardi 27 décembre 1944 : Journée semblable aux autres, à part un réveil en fanfare par un marmitage soigné. Je prends le quart de 4 à 6, puis je réveille SCHUMANN qui doit porter le téléphone, aussi je reste chef de poste jusqu’à 7 heures. J’emballe tout, car on doit partir ce matin. J’ai trouvé un superbe poste de T.S.F. A 17 heures avec SCHUMANN, nous réveillons bruyamment tout le Peloton, qui se prépare. La « Garonne » et la « Seine » partent à 8 heures, tandis que notre voiture et « la Loire », nous attendons la relève qui n’arrive qu’à 12 heures, juste au moment d’un bombardement.

Nous décampons en vitesse où nous rejoignons le reste à la gendarmerie de Sélestat. Nous redémarrons à 3 heures pour Goxwiller, où nous voudrions bien avoir les mêmes emplacements. A l’entrée du village, arrêts, palabres, puis un grand cri : « Mêmes emplacements ». Tout le monde a un large sourire, et le Peloton tourne petite rue de l’église, en même temps que fenêtres et portes s’ouvrent pour laisser apparaître les gens, un large sourire aussi, qui nous attendaient parait-il.

Jeudi 28 décembre 1944 : Nettoyage des armes.

Vendredi 29 décembre 1944 : Revue de voitures. BOURRETTE revient, aussi j’essaye mon poste qui marche bien.

Samedi 30 décembre 1944 : A 1 heure, départ. Destination inconnue. Il y a tout le G.T.L. Nous roulons jusqu’à 8 heures du soir, il fait noir et froid. Nous passons la nuit dans un village, alors qu’il commence à neiger. Les civils nous servent un casse-croute.

Dimanche 31 décembre 1944 : Nous prenons le jus et attendons les ordres tranquillement. Nous ne partons pas. Nous passons la journée à faire du traineau où ça a failli tourner au tragique. Nous sommes rentrés à près de 50 à l’heure dans une barrière, sans mal heureusement.

Lundi 1er janvier 1945 : Même chose. La veille, nous avions veillé un peu avec le phonographe, puis je me suis couché. Les copains sont venus me réveiller pour me souhaiter la bonne année à 12 heures.

Mardi 2 janvier 1945 : Toujours dans le même petit village. Nous tuons le temps comme nous pouvons.

Mercredi 3 Janvier 1945 : Nous partons à 5 heures du matin. Il fait – 18. Aussi, nous sommes tous gelés et assis sur le capot, tant que le moteur tourne. Nous démarrons. C’est terrible, il y a  un petit vent glacé. Les voitures dérapent. Après plusieurs stations, nous arrivons à 11 heures du matin. Oermingen , où nous trouvons une maison où il n’y a que des paillasses, mais où les civils sont très chics et nous font à souper.

Jeudi 4 janvier 1945 : Les Allemands contre-attaquent. Les Américains décampent à toute vitesse, et nous montons en ligne. La neige tombe, nous nous mettons en position et nous y restons toute la journée. A droite, un autre Sous-groupement attaque. A 5 heures, la nuit tombe.

Nous revenons à nos cantonnements Je suis de garde avec LIZÉ et tout le reste du Peloton, car PLANCHAT et  SCHUMANN sont restés en panne avec leur voiture. Je prends le quart de 1 heure 1/2 jusqu’au matin. Le Capitaine STARCK, qui commande tous les Pelotons isolés, fait une ronde et gueule parce qu’il n’y a qu’une sentinelle, etc, etc… Il commence vraiment  à m’énerver, cette cloche là.

Vendredi 5 janvier 1945 : Journée tranquille, il fait froid.

Samedi 6 janvier 1945 : Le Peloton prend la garde, mais c’est JACQUETY qui est chef de poste. Je dors comme un caïd.     

Dimanche 7 janvier 1945 : Nous allons à la messe, BILL, BAIL, JACQUETY et moi et nous nous gelons pendant l’heure, car tous les carreaux de l’église sont cassés.

Vendredi 12 janvier 1945 : La vie continue monotone. Je prends la garde 2 nuits sur 3 comme chef de poste. Je prends à chaque fois 2 heures de faction pour soulager celle des hommes. Il neige toujours terriblement. Le conducteur est enfin arrivé. C’est un Corse AIUTI, que je connaissais. Je suis très content, car je n’ai qu’à m’en louer. Il travaille et fait ce qu’on lui demande.

Hier, BAYO était chef de poste, quant à 3 heures, tout le monde aperçoit un parachutiste descendant lentement. BAYO et moi prenons en vitesse une carabine et fonçons au poste. Justement, le Capitaine STARCK, cette vache finie, ne savait trop quoi faire et demandait le chef de poste. BAYO se présente. Je propose au Capitaine de prendre la jeep. C’est ce qu’il fait, et nous voila partis dans la direction de l’atterrissage. Après avoir un peu cherché, nous voyons une jeep dont les occupants s’occupent à attraper le fameux parachutiste qui n’était qu’un ballon avec une espèce de triangle de carton. Nous n’avons pas compris du tout l’utilité, ni la signification de ce ballon.

Quand le temps le permet, nous faisons de la luge. BAYO et moi, avons fait une belle chute l’autre jour, et nous avons démoli la luge. Je braille un peu, mais ce n’est rien.

Jeudi 18 janvier 1945 : Rien d’anormal jusqu’au mardi 16, où je vais à l’atelier avec AIUTI pout changer les chenilles. L’aller se passe bien, l’opération aussi. Je mange avec les copains du Centre d’Instruction, toujours retrouvés avec plaisir. Au retour, je prends le volant. Ça marche bien, je fonce jusqu’à 53 miles en descente, puis tout d’un coup, c’est la panne de carburation. Nous essayons tout, rien à faire. Je pars en stop et je rends compte à l’Aspi. Je repars avec l’Half-track de dépannage et le Bg. Chef.

Nous rejoignons AIUTI, puis nous partons, notre voiture en remorque. Je prends le volant de la 1ère, car le conducteur est assez novice sur Half-track. Il fait nuit noire, je me trompe dans un tournant. C’est un fourbi pour repérer la bonne route. Finalement, après 20 minutes de manœuvre, on repart. En pleine côte, je passe en 2ème, ne voyant pas que ça montait toujours. Le recul de la 2ème voiture me cale. Impossible de  remettre en route. AIUTI essaye sur le "Rhin". Ça démarre, même bien. Il me pousse, ensuite je remets en marche, puis nous partons. Le "Rhin". passe devant et contre toute attente marche plein pot jusqu’au village, où j’arrive plutôt fatigué.

Mercredi 17 janvier 1945 : L’après-midi, LIZÉ part avec le "Rhin", AIUTI et 3 indigènes comme vedettes pour l’exercice de tir du Peloton Obusier. Puis l’Aspi. nous annonce que nous changeons de cantonnement. Dès que la voiture arrive, ,nous embarquons tout pêle-mêle. Je prends le volant. Nous allons à l’autre bout du village. Vlan, encore la panne. SCHUMANN vient nous remorquer.

Mercredi 17 janvier 1945 : J’ai des coliques et suis mal fichu. Je me lève à 10 heures ½ et répare la voiture tant bien que mal. Elle tourne bien, mais jusqu’à la prochaine panne. La journée passe vite, nous faisons de la luge, car il y a une piste terrible. Nous descendons assis, à plat ventre, de toutes les manières. Je commence à bien savoir me diriger, après les belles pelles du début. Après souper, nous dansons, car il y a beaucoup de jeunes filles dans le coin.

Jeudi 18 janvier 1945 :  La journée passe de même. Nous allons encore danser, manque de pot, nous devons partir à 9 heures du soir. Le souper est joyeux tout de même, puis, c’est l’heure. Il fait nuit noire. Autour des voitures, ce sont des adieux, comment dire, très touchants.

Nous partons enfin, formons la colonne à la sortie du village, puis nous fonçons phares allumés. Vers minuit, AIUTI s’endort. Je prends le volant, la voiture est maniaque, mais marche assez bien par moments. Nous stoppons à 3 heures du matin à Furdenheim. Nous trouvons une grange pour dormir, sans plus, car il y a 1 mort dans la maison. C’est le bouquet. Blague, je m’endors de suite.

Vendredi 19 décembre 1945 : Nous nous réveillons à 9 heures, puis nous allons prendre le café au coin de la rue en emmenant notre sucre, bien sur. Puis, le Brig chef et moi, cherchons un autre cantonnement et trouvons quelque chose de splendide. Nous avons une grande chambre au premier, une pièce pour s’y tenir au rez-de-chaussée, et il y a des jeunes filles dans la maison. Nous déménageons aussitôt. Je transpire un peu pour guider la voiture, car le passage est étroit et tortueux jusqu’à la grange. Nous nous entendons bien, faisons un formidable repas à midi, puis je fais une petite sieste réparatrice. La journée passe tranquillement.

Samedi 20 janvier 1945 : BAYO et moi avons fait la connaissance de charmantes blondes, la journée est délicieuses. Comme la veille, nous dansons après souper.

Dimanche 21 janvier 1945 :  Alerte. Nous partons. Il est 7 heures du matin, les véhicules sont alignés. Tout le long de la colonne, ce ne sont que des adieux émus. Puis, contre-ordre. Fous de joie, chacun rentre sa voiture. Le dimanche est encore plus délicieux.

Lundi 22 janvier 1945 : Hélas, nous partons pour de bon à 6 heures du matin. C’est des adieux désespérés. Nous baroudons toute la journée au-dessus de la Wantzenau. Le Peloton reste en surveillance dans un secteur. Des balles sifflent, mais nous n’intervenons pas. A 6 heures, nous revenons. Victoire sur toute la ligne, nous avons repris les 2 villages dernièrement réoccupés par les Allemands, puis, nous passons la nuit à Mittelhausbergen.

Mardi 23 janvier 1945 : BAYO et moi, nous nous morfondons et prévoyons une escapade pour le soir. A 5 heures ½, équipés pour le froid, munis de lampe et d’une carte soigneusement étudiée, nous nous sauvons, trouvons une ambulance, puis une Renault civile. En 20 minutes, nous sommes à Furdenheim, où nous restons près de nos belles jusqu’à 9 heures ½.

Au retour, pas de chance, pas de véhicule en vue. Marchant d’un bon pas malgré les pieds qui enfoncent et la neige qui nous tombe sur le visage, nous couvrons les 14 kms en 2 heures et nous couchons à minuit tapant, après s’être un peu restaurés.

Mercredi 24 janvier 1945 : Je ne suis pas fatigué du tout. BAYO, un peu moulu. Nous changeons de village à 9 heures du matin, pour aller à 6 kms, dont le nom est trop compliqué. Cela nous rapproche de Furdenheim, nous envisageons de nous sauver ce soir aussi. Il y a l’électricité ici. La journée passe très douce. Je m’arrête d’écouter la musique avec BAYO. Le soir, nous nous sauvons de nouveau. LIZÉ vient avec nous cette fois. Nous réussissons à nouveau en moins de temps, car la distance n’est que de 9 Kms.

Jeudi 25 janvier 1945 : Nous sommes un peu fatigués, aussi ne nous sauvons nous pas. Nous jouons aux cartes et écoutons la musique.

Vendredi 26 janvier 1945 : Nous changeons de village. Nous démarrons à 8 heures, cahin-caha. La « Seine » et la « Loire » sont en panne, aussi, nous les remorquons. Nous, on n’avance pas vite. Il neige abondamment, les voitures glissent. Finalement, l’Aspi. décide de laisser là les voitures en panne. Nous fonçons alors et arrivons bientôt à Duttlenheim, où nous occupons nos cantonnements. Les gens sont gentils aussi, seulement, il n’y a pas d’électricité.

Samedi 27 janvier 1945 : Journée tranquille. BAYO et moi, nous cherchons en vain une occasion introuvable et rongeons notre frein, car cette fois, il y a au moins 15 kms et par cette neige, le jeu ne vaut pas la chandelle.

Dimanche 28 janvier 1945 : Depuis hier, nous sommes décidés à tenter le coup. A 10 heures ½, nous partons en stop par les grandes routes. Ça fait un détour de 40 Kms, mais on a plus de chance. Après avoir changé 6 fois de voitures, nous arrivons à 11 heures 45 à Furdenheim. Tout le monde jubile. Nos belles se doutaient bien que nous nous sauverions un dimanche et en conséquence avaient préparé de succulentes tartes.

A 4 heures ½, nous repartons et après quelques angoisses, nous arrivons à 6 heures à l’aide de 5 véhicules différents. A l’avant dernier village, nous avons croisé l’Aspi. en jeep. Tout le monde a fait semblant de ne pas le voir. Il est vraiment chic. Je suis de garde au P.C., garde tout à fait tranquille. Je fais le tour, avertis les hommes, puis après avoir soupé tranquillement, je me couche et m’endors du sommeil du juste, avec 2 charmantes visions dans l’esprit.

Lundi 29 janvier au Jeudi 1er février 1945 : Vie tranquille. De temps en temps, nous avons cinéma. L’Aspirant est nommé Sous-lieutenant et part en permission le mercredi 3. La veille, il m’avait emmené en voiture avec lui. Pendant cette promenade, nous avons beaucoup discuté. Je lui ai même avoué notre fugue de dimanche. Il l’a pris du bon côté. mais m’a averti que la prochaine fois, il nous punirait.

La veille de son départ en perm, il m’a dit que je passerai sans doute sur la voiture de commandement lorsqu’elle serait réparée, comme chef de voiture. Cela me plait assez, quoique je regrette ma pièce. Bien qu’il soit avec moi, je serai indépendant. SCHUMANN est passé Brigadier et le Brig Chef JACQUETY, Maréchal des Logis.     

Samedi 3 février 1945 : Nous partons à 10 heures vers Colmar, LIZÉ reste. Toujours en panne, « la Loire » n’a pas rejoint. AIUTI me laisse le volant toute la durée de l’étape. Le temps est menaçant. Il y a de courts moments de pluie. Nous passons sur un tas de ponts du Génie, car il y a beaucoup de rivières. Les villages sont très démolis dans ce coin, car ils ont été pris et repris au moins 2 ou 3 fois.

Nous arrivons à 2 heures à Mackenheim, terminus. Nous tombons encore bien, les civils sont gentils. On prend la garde, car le baroud est proche. SCHUMANN place sa voiture sur la route. Nous sommes au bout du village. Je prends le 1er quart jusqu’à 11 heures ½. Nous faisons une belote acharnée, puis le  reste du temps, je lis. A 1 heure, devant, les mitrailleuses se font entendre toute la nuit.

Dimanche 4 février 1945 : Nous nous réveillons tard et je loupe la messe. La journée passe tranquillement. Nous dansons un peu avec 2 ou 3 demoiselles.

Lundi 5 février 1945 : Contre-ordre, nous ne partons pas aujourd’hui non plus. Nous jouons aux cartes.

Mardi 6 février 1945 : Nous démarrons à 8 heures du matin. Çà bagarre dur. Nous tirons à deux reprises dans la journée. Tout le jour, nous recevons de l’artillerie en pagaille. Nous faisons beaucoup de prisonniers. Il y a peu de casse chez nous. Le soir, nous nous plaçons en 1ère ligne, les mortiers en batterie, puis nous préparons à dormir sous 1 auto, car il va pleuvoir. Tout le monde prend 2 heures de garde. Il pleut toute la nuit et je passe une nuit délicieuse sans pouvoir bouger, avec une gouttière sur le nez.

A 10 heures, nous avons alerte. Une auto canon nous tire dessus et pardon, ça rase. Nous nous préparons à tirer, mais jusqu’à quand nous allons commencer. Il s’arrête et change de place. Je prends ma faction. On entend très bien 2 ou trois chars boches vadrouiller dans le village en face. L’artillerie arrose de temps en temps, de part et d’autres.

Mercredi 7 février 1945 : Le jour arrive, quand même, la pluie s’est arrêtée. Nous faisons le jus tranquillement. A 10 heures, nous tirons chacun 40 obus, puis les chars attaquent. Bientôt, la colonne démarre.

Nous arrivons, après une dure journée à Balgau. L’artillerie nous a encore sonné et un anti-chars nous a donné chaud en loupant 2 ou 3 fois des voitures de la colonne. J’ai eu beau écarquiller les yeux, je n’ai pas eu l’occasion de me servir de la mitrailleuse. A Balgau, nous dormons tous dans une maison. Nous sommes bien, mais l’artillerie donne toujours et frôle la maison par 2 fois. Les vitres et les tuiles volent. Je prends la garde de 5 à 7 heures du matin. Les Américains nous ont rejoints. Il y en a par centaines de tous les côtés. Nous avons eu 4 chars mouchés, 2 ou 3 morts et quelques blessés.

Jeudi 8 février 1945 : Il fait un temps splendide. A 8 heures, les chars attaquent après un court tir d’artillerie. Bientôt, la jonction est faite avec la 1ère Armée. Nous nous plaçons à un carrefour et attendons. Je crois que la bagarre est terminée pour nous. L’aviation vadrouille dans le ciel. Le soir, il y a une garde tranquille où les types se relèvent eux-mêmes. Les gradés, nous dormons tout d’une traite.

Vendredi 9 février 1945 : Je me réveille à 9 heures, me lève à 9 heures ½, puis m’engueule avec le Chef parce qu’il trouve que l’on se lève trop tard. L’après-midi, nous allons dans un champ voisin pour aider à sortir les corps de 2 Chasseurs qui sont restés dans un char après qu’il ait été mouché. Ce n’était pas une belle besogne, car les pauvres diables étaient bien abimés. Après 2 heures d’efforts, nous avons réussi à sortir les 2 corps à peu près entiers. C’étaient 2 chics types que je connaissais bien.

Le soir, nous avons une surprise, BOURRETTE rejoint le Peloton. Il est toujours le même et n’a pas de traces de ses blessures. A table, nous entendons quelques arrivées, ce que l’on n'avait pas eu depuis 2 jours.

Samedi 10 février 1945 : Réveil normal. Nous partons à 10 heures. Nous tombons en panne au départ. Le dépanneur nous donne un joint, puis nous rejoignons la colonne à toute vitesse. Nous arrivons à 2 heures à Artolsheim où nous restons 4 heures. Nous sommes très bien et les gens sont très gentils aussi.

Dimanche 11 février 1945 : Le Margis, démobilisé, nous a quitté la veille. Me voilà chef de voiture. Nous démarrons à 11 heures pour aller du côté de Furdenheim. Vous pensez si BAYO et moi jubilons. Je conduis une partie du trajet, puis la carte à la main, je suis le parcours. Nous passons à 1 km de Furdenheim et continuons. Je jure comme un docker, nous arrivons enfin à Nordheim, à 7 kms de Furdenheim.

Nous tombons très mal au point de vue cantonnement. J’installe l’équipage tant bien que mal, puis à 5 heures, nous partons, BAYO et moi, après quelques stratégies pour sortir du village. Nous trouvons un Dodge, puis arrivons à Furdenheim vers 6 heures, où nous sommes accueillis comme on le devine. Nous repartons à 11 heures du soir, puis nous arrivons à pieds complètement claqués, car tout le trajet, nous avons eu un vent terrible.

Lundi 12 février 1945 : Même  journée, car je fais nettoyer la voiture et les armes, puis nous trouvons des vélos et retournons à Furdenheim.

Mardi 13 février 1945 : Je me réveille à 9 heures ¼, prends un café au lait au pain beurré plutôt campagnard et je rapporte les vélos avec BAYO. La soirée passe près du phono.

Mercredi 14 février 1945 : KHELLIL a une bagarre avec le Chef. Je suis intervenu à temps, car ils en étaient venus aux mains. KHELLIL ne s’est calmé que lorsque je lui eus poché un œil. Il va être puni et a déjà les cheveux à raz. BAYO et moi, nous sauvons à nouveau.

Jeudi 15 février 1945 : L’après-midi, je fais nettoyer tout l’extérieur de la voiture. qui était toujours blanchi à la chaux, puis BAYO et moi, nous resauvons. Nous rencontrons 2 jeeps peu après le village. Nous sommes obligés de faire du plat ventre dans les champs voisins.

Vendredi 16 février 1945 : Nous démarrons à 8 heures et roulons toute la journée. Nous retraversons le Dabo, ce qui est très joli par ce beau soleil. Nous arrivons à la nuit à Fouligny. Les cantonnements sont affreux et les gens rébarbatifs. ll y a d’abord une histoire du diable avec une vieille femme qui nous a refusé de faire chauffer de l’eau pour faire du café. Nous lui disons ses 4 vérités.

Le Peloton dort dans une grande salle à manger, le Chef et les 3 Brigadiers avons trouvé une chambre pour la nuit. Nous écoutons la T.S.F, puis nous nous rendons à notre chambre, quand SCHUMANN aperçoit un coq. Nous le prenons. Comme il gueule, il lui sert le cou, et nous rentrons dans notre chambre. Quand les civils de la maison arrivent pour discuter un moment, vous parlez de la tête que nous faisions. Je camouflais SCHUMANN de mon mieux, qui camouflait lui-même le coq de son mieux. Quand tout d’un coup, on entend un terrible battement d’ailes, parmi un nuage de plumes. Vous parlez d’un effet. SCHUMANN ne savait plus où se mettre. Je croyais mourir, tant je me retenais de rire. J’ai vaguement essayé d’expliquer la chose, mais le vieux ladre reconnut son coq. C’était le bouquet.

De plus, au moment où SCHUMANN le lui tend, le coq se dresse dans un dernier spasme et retombe avec un râle. Je n’en pouvais plus. Le vieux lui a remis la tête dans l’eau, le coq a ressuscité, et à la fin, tout s’est arrangé en mettant tout sur le compte de la petite chienne qui étranglait le coq au moment où nous l’avions attrapé.

Samedi 17 février 1945 : Le Chef trouve une maison vide. Les 2 autres voitures s’y installent, et moi, j’installe mon équipage dans la maison de l’histoire du coq. On est pas au poil, mais enfin. A midi, on a mangé une espèce de repas où il y avait une forte majorité de nos conserves. Je passe l’après-midi à écrire. La soirée filait en jouant aux cartes avec le vieux de la maison.

Dimanche 18 février 1945 : Nous changeons de village, pour aller à 3 kms. à Marange. Dommage qu’il n’y ait pas d’électricité, car les cantonnements sont mieux. J’ai 2 chambres pour la pièce. Les indigènes dans l’une et AIUTI et moi dans l’autre. Nous mangeons chez les gens d’en face qui sont vraiment de braves gens. Je me crois en pension de famille.

Vendredi 24 février 1945 : Beaucoup de choses durant cette semaine. La vie s’organise comme en caserne. Les Brigadiers, nous prenons le jour chacun à son tour. Pendant 3 jours, nous nettoyons les voitures. Mercredi, le Capitaine passe la revue et n’est pas tout à fait satisfait. L’abruti. Pourtant, j’ai fait démonter tous les coffres et fait passer la voiture dans la rivière.

Mercredi, je prends le jour à 8 heures ½. Avec une jeep des transmissions, j’emmène les consultants à l’infirmerie 2 villages plus loin, Puis, je porte les papiers au P.C. du Capitaine. L’après-midi, je commande les classes à pieds qui ont lieu tous les jours de 4 heures ½ à 5 heures, où il y a l’appel. Jeudi, je vais en perm à Metz, où je m’amuse bien. Puis la vie continue. Il n’y a guère de travail. Nous allons à la chasse avec les carabines. Demain, je suis de jour.

Samedi 25 février 1945 : Après avoir emmené les consultants, je ramène du matériel, puis l’Adjudant BEVILACQUA qui prend le Peloton en attendant le Sous-lieutenant. La journée passe tranquillement. Le soir, j’ai le plaisir de me moquer des copains pendant les classes à pieds. Le type de jour ne les fait pas. Je rends l’appel, puis je porte le courrier.

Dimanche 25 février 1945 : Je vais en perm à Metz.

Lundi 26 février 1945 : Nous allons au tir. Nous sortons toutes nos voitures. Les Transmissions montent avec nous, et nous allons à 1 pas de tir à 2 kms de là. Notre tir à la carabine est bien et celui de la mitrailleuse passable.

Mardi 27 février 1945 : Nous avons séance de cinéma à Fouligny. Nous y allons en auto avec les Transmissions, comme au tir.

Mercredi 28 février 1945 : Je retourne à Metz pour la dernière fois.

Jeudi 28 février 1945 : Grands préparatifs, nous partons demain. Nous touchons 5 jours de ravitaillement d’avance. Je ne vois plus où tout mettre dans la voiture.

Vendredi 1er mars 1945 : Nous démarrons à 7 heures de Marange sous les adieux des habitants. Tout est nickel, voitures et hommes. Nous rejoignons l’interminable convoi à Fouligny et nous démarrons à 8 heures. Nous roulons toute la journée, Nancy, Chaumont. Nous arrêtons dans un petit village, 50 kms avant Châtillon. Je tombe chez de pauvres gens, mais très braves gens qui nous accueillent avec joie. Nous installons la T.S.F., et passons une bonne soirée. Je m’endors comme une masse, car j’ai conduit la majeure partie du temps.

Samedi 2 mars 1945 : Nous repartons tranquillement à 9 heures du matin. Nous passons Châtillon, Auxerre, Tonnerre. Nous arrivons à la nuit tombante à Cosne. Tout est au poil. Les cantonnements ont été prêts à l’avance. L’Adjudant nous donne l’adresse, et nous allons chez les civils, après avoir placé les 4 voitures dans une grange. J’envoie mes 3 indigènes chez des gens très sympathiques, puis je vais à l’autre adresse avec AIUTI.

Je n’ai jamais été si bien. C’est  un ménage de riches bourgeois, des épiciers par-dessus le marché, aussi ils ne nous manque rien. Nous avons une belle chambre et une belle salle de bain. Nous faisons une longue toilette, puis soupons comme des rois. Vins blancs, vins rouges, bref, je vais me coucher un peu vaseux.

Nous repartons à 8 heures, c’est l’étape la plus longue. Nous tombons en panne, assez sérieuse. Je. m’énerve avec marteau et pièces et je répare tout de même. Mais il a fallu 3 quarts d’heure, et toutes les autres rames nous ont doublé. Je prends le volant et pars à fond de train. J’ai rejoint à 45 miles, en traversant Nevers, seul et toujours à toute allure. On nous faisait beaucoup d’ovation, étant seul naturellement. Je double les autres rames toujours à fond de train, et je rejoins la mienne peu avant Bourges. Nous traversons Issoudun et Châteauroux parmi une foule très dense, puis bifurquons et arrivons au terminus à 6 heures, c’est Buzançais.

Comme cantonnement, c’est miteux. Après bien des recherches, je trouve une cour pour l’auto, et un peu plus loin, une dame chez qui loger.

Lundi 4 mars au samedi 10 mars 1945 : Journée chargée, il faut s’installer, monter un réfectoire, car nous couchons chez l’habitant. Nous mangeons à la popote qui n’est pas délicieuse, puis il faut nettoyer les voitures, laver notre linge, les armes, etc,  etc… Mercredi, j’ai été de garde au P.C. du Colon, en tenue nickel et ceinture rouge de tradition. Garde tranquille. Le Général de LANGLADE est venu et nous a félicité pour notre tenue. Tous les soirs, il y a appel en tenue.de sortie.

Samedi 10 au Vendredi 16 mars 1945 : La vie continue, monotone. Le jour, travail sur les voitures et classes à pieds, puis nous allons faire un tour. Le soir, nous dansons presque tous les jours. Mercredi, grande surprise, GIANNI a enfin rejoint le Peloton.

Hier, il y a eu une grande prise d’armes, où tout le Régiment y participait. Il y a eu remise de décorations par LECLERC lui-même. Le soir, j’en avais assez de présenter les armes et de défiler depuis le matin.

Aujourd’hui pour me reposer, je suis à nouveau de garde au P.C. du Colon. Ce matin, je suis arrivé en retard à la garde, aussi je m’attends à quelque chose, quoique le Capitaine ne m’ait pas regardé de travers. Il est 6 heures ¼, je viens de descendre les Couleurs. Tout est calme et paisible.

Samedi 17 au vendredi 23 mars 1945 : Il ne m’est rien arrivé. La vie continue très calme. Mercredi matin, nous allons au tir au mortier et à la mitrailleuse. J’ai fait de jolis tirs, mais il n’y a pas eu moyen de mettre l’objectif en l’air. c’était toujours à un poil près en avant ou en arrière. A la 50, j’ai bien tiré. Hier, j’étais de jour à l’Escadron, aussi j’étais claqué, car j’ai vadrouillé toute la journée. Ce matin, on nous a donné 2 piqures de rappel plutôt soignées. Je sens un peu mon épaule, mais ça va. Il y en a qui sont couchés. Nous n’avons rien à faire de toute la journée.

Samedi 24 mars 1945 : Mon épaule me fait assez mal, je bricole tout de même sur la voiture.

Dimanche 25 mars 1945 : Je suis de garde au P.C. du Colon. J’étais très en rogne quand je l’ai appris, car il y a bal cet après-midi. Maintenant, cela m’a passé. L’après-midi, je suis allé soi-disant en mission me promener en jeep, puis à 9 heures ½, je me suis sauvé dormir quelque part, et je suis rentré à 6 heures sans casse.

Lundi 26 mars 1945 : Journée tranquille.

Mardi 27 mars 1945 : 2 prise d’armes. Le matin au 1er Escadron, l’après-midi, au 2ème. Celle de l’après-midi, BAYO et GIANNI sont décorés. Je suis revenu un peu amer, car à côté de certaines citations ridicules, j’aurais pu être cité 2 ou 3 fois. Le soir, cela m’a vite passé, car nous sommes allés au théâtre, et c’était très bien.

Mercredi 28 au Vendredi 30 mars 1945 : Rien de neuf à part le retour du Lieutenant aujourd’hui. Il n’est pas encore venu au Peloton, mais nous l’avons aperçu dans la rue.

Du Samedi 31 mars au Dimanche 8 avril 1945 : Le samedi, je prends la garde et je m’engueule sérieusement avec l’Adjudant d’Escadron, car je la prends un peu trop souvent. Ensuite, les journées s’écoulent pareilles. Il y a un peu plus de travail cependant, car nous nous préparons au départ qui a lieu  le dimanche 8 à 11 heures du matin.

SCHWALM part en précurseur avec BAYO en Dodge à 8 heures du matin. Je suis donc chef de voiture. Nous démarrons. Il y a pas mal de gens sur les trottoirs. Le Lieutenant, qui est très énervant ces jours-ci, me réprimande, et je lui réponds assez vertement. Il me laisse tranquille, mais me surveillera toute la journée.

A 2 heures, nous arrivons à Neuvy-Pailloux, où nous embarquons sur des plates formes américaines. A part un homme dans chaque voiture, les autres logent dans les fourgons. Il y a assez de place, car nous ne sommes pas nombreux. Il y a que nous et le 3ème Escadron.

JMO 11Extrait des J.M.O.

Le train démarre à 3 heures ½, pour arriver à St-Jean-d’Angely le lendemain, à 8 heures du matin. Là, après une heure d’attente, nous rejoignons nos cantonnements qui sont à côté du patelin d’Aulnay. J’ai une belle chambre avec AIUTI chez un vieux ménage de braves gens. Nous dormons le reste de la journée.

Mardi 10 avril 1945 : Le Lieutenant recommence à nous casser les pieds. Il faut nettoyer les voitures et se préparer pour une manœuvre qui aura lieu à 2 heures de l’après-midi. Le Chef désigne 4 indigènes de garde. Tous ceux-ci rouspètent avec raison, car ils la prennent trop souvent. Ça fait une histoire encore à cause de la bêtise d’HUGUET.

Mercredi 11 avril 1945 : La journée passe tranquillement. Nous touchons les munitions.

Jeudi 12 avril 1945 : Nous démarrons à 11 heures. A 12 heures, l’Escadron tout entier est aligné sur la place. Cela fait son petit effet. Tout le village est là. Nous sommes très fleuris. Nous arrivons à 6 heures à côté de Gémozac.

Le Peloton est seul dans un poste où il y a 3 ou 4 vieilles baraques au bout d’un petit village. Nous sommes sur l’herbe, il fait très beau. Nous avons monté les guitounes tout contre les autres, nous avons installé la radio avec mon poste, et en ce moment, le spectacle est délicieux. Tout le monde est allongé autour du poste. Nous mangeons des biscuits avec de la confiture. Nous buvons du vin attrapé au vol des mains des civils. Une dame nous prépare du café. Je pense que nous attaquerons demain, Nous ne sommes qu’à 30 kms des boches. La vie est belle.

Vendredi 13 avril 1945 : Réveil en musique à 8 heures. Fais le jus pour tout le monde, puis ma voiture,  puis nous avons exercice avec les mortiers à terre. Puis, le Lieutenant nous explique le topo, aux Sous-off. et aux Brigadiers. Le Peloton attaquera sans doute lundi ou mardi avec le 1er Escadron et les Éclaireurs. C’est un sale boulot, car nous devons faire une trouée dans une ligne fortifiée.

L’après-midi se passe tranquillement. Je vais avec AIUTI aux transmissions faire réparer un poste. Nous avons fait un souper formidable avec 2 lapins, puis nous nous sommes amusés comme des fous en faisant des bagarres entre nous, puis nous avons écouté la musique très tard.

Dimanche 15 avril 1945 : Nous partons tranquillement à 9 heures du matin, dépassons Saujon et arrêtons dans un grand pré vers 12 heures. Après une bonne sieste, nous partons à 5 heures et attaquons. Nous sommes juste derrière le 1er Escadron.

Bientôt, il y a un os. Nous nous mettons en batterie, les obusiers aussi. Un peu plus loin, l’artillerie s’en mêle, et nous tirons au milieu d’un vacarme de tous les diables. Bientôt, tout se calme. Le 1er Spahis et les FFI montent en ligne pour prendre la garde, tandis que les chars reviennent dans un champ voisin.

Nous restons en batterie pour la nuit et couchons sur place au bord de la route. L’artillerie tire toute la nuit. Entre Vendredi et Dimanche,  nous avons simplement changé de bivouac pour rejoindre le 1er Escadron avec lequel nous devons attaquer.

Lundi 16 avril 1945 : Réveil à 5 heures ½. La voiture de commandement part avec le 3ème Escadron qui attaque sur la gauche, je crois, tandis que le 1er est à droite. Nous attendons les ordres. Hier soir, nous avons eu que 2 tués et 3 ou 4 blessés. Le matin, à 500m de nous, un Sous-lieutenant saute sur une mine et meurt sur le coup. Un Chasseur est blessé.

Il est 9 heures, les chars bagarrent devant. Une jeep vient de passer à toute vitesse, transportant le Commandant GRIBIUS blessé au visage, je crois. Ça nous a tous secoué, car on connait sa valeur, et c’est lui qui menait la danse actuellement, le Lt Colonel MINJONNET lui ayant cédé la place. A 2 heures, nous avançons et traversons une petite forêt, puis encore un long arrêt.

Puis à 5 heures, nous repartons très lentement, car nous traversons un champ de mines, et il faut faire gaffe. Nous passons à côté du fameux village que l’on canarde depuis hier soir. Le 3ème Escadron s’explique en démolissant tout et en balayant par rafales. Mais il y a 2 tireurs isolés, et 2 types qui tirent bien. Pendant 200 m. ça siffle aux oreilles, de façon très désagréable. Le Margis et moi avons beau fouiller des yeux, on ne voit rien.

Nous doublons un Half-track du Génie qui a sauté sur une Tellermine et qui est pas mal amoché. Bientôt, les éclaireurs étaient restés occupés au village. On nous demande pour éclairer les chars de tête. nous doublons toute la colonne à pleine vitesse et nous descendons, terriblement harnachés. Nous marchons de chaque côté de la route, juste à hauteur des 2 premiers chars.

Un moment après, on nous demande de nettoyer un petit bois à droite, 2 groupes. 1 SCHWALM, l’autre LIZÉ. Je suis avec SCHWALM et le Lieutenant. Nous partons légèrement accroupis, mais je me lève bientôt, car nous sommes complètement à découvert. Un bond, on s’arrête. Le Lieutenant se trouve nez-à-nez avec un boche qui se rend, heureusement, il nous aurait tous bousillé.

A gauche, je vois les branches bouger. Je lève mon arme, 3 boches sortent les mains en l’air. Nous les fouillons rapidement, puis je pars de côté avec BAYO et 3 ou 4 types. Nous tombons sur un blockhaus. 2 types se rendent. Je fais le tour et monte par derrière sur une tourelle, et j’aperçois un cadavre.

Je rentre dans le blockhaus en même temps que BAYO rentre par la porte après avoir bazardé une grenade à pieds. Il y a un Capitaine qui s’est suicidé. Nous raflons tout ce qui se trouve dans le blockhaus et repartons. Nous rejoignons les chars. De tous les côtés, le Peloton ramène des prisonniers. La colonne se remet en marche et ça recommence. L’œil en éveil, les muscles assez tendus. Je suis là, comme à un match sportif, nous plaisantons, fumons, c’est passionnant. 

J’ai une montre et un revolver, BAYO, 1 montre, 1 accordéon et 1 parabellum. Tout d’un coup, une détonation, une lueur. Tout le monde plonge. LIZÉ à 4 m. de moi, tourne et s’abat. Je me précipite avec BAYO, il est sans connaissance, un trou dans le dos et un à chaque aisselle. Il perd énormément de sang. Le char demande l’infirmerie et nous attendons impuissants. Il a déclenché une mine à 3 m. de lui. Enfin la jeep du toubib arrive à toute allure. Celui-ci se dégonfle pour faire demi-tour, car la route n'est pas très large; je le bouscule, je prends le volant et tourne la voiture en bolide, pendant que BAYO me guide.

Pendant ce temps, on a mis LIZÉ sur un brancard et on l’emmène. Le toubib dit que si la transfusion de sang est faite à temps, on pourra peut-être le sauver. Nous repartons. Plus rien d’intéressant. Les tournants sont assez délicats. Le char de tête pointe son canon et avance doucement, doucement. Nous en faisons de même dans les fossés. De temps en temps, un piège saute, mais personne n’est touché.

Nous arrivons à Étaules, 5 kms avant La Tremblade. 100m. avant, nous stoppons. En principe, il y a des nôtres qui ont dû arriver par un autre côté. On voit un char juste 100m. après le tournant. Pendant 1 minute, tout le monde observe bien planqué, puis on reconnait les nôtres. Une jeep avec des marins fonce sur nous. Tout le monde a un sourire jusqu’aux oreilles et nous sommes tous presque beaux malgré nos 8 jours de barbe, poussière, tâches de sang, etc…

La liaison est faite. Nous pénétrons alors dans le village, puis chacun prend ses cantonnements. Mais, un moment après, le Lieutenant vient nous chercher. Nous repartons faire une liaison avec les F.F.I., avec un Peloton du 1er Escadron. Nous grimpons sur les chars. Il y a un light  et 2 Sherman. Je suis sur le light, char du chef de Peloton, avec notre Lieutenant et AIUTI. Un groupe est avec HUGUET, l’autre avec SCHWALM. Nous faisons du tout terrain et je me cramponne, ça remue drôlement là-dessus. Des tireurs isolés nous ajustent dans les bois, nous leurs envoyons des rafales de tous les côtés, puis rejoignons les F.F.I. au village de Chassagne.

La mission est terminée, nous rentrons à toute vitesse. Il fait bon, il est 9 heures du soir. Tout le monde fait grande toilette, puis après avoir mangé un peu, nous nous couchons. AIUTI et moi avons trouvé un matelas dans une maison pillée.

Mardi 17 avril 1945 : Nous nous levons à 8 heures, puis bricolons. On nous porte un jus excellent. Le Capitaine est sans doute content de notre travail d’hier Je fais arranger la voiture et nettoyer les armes, puis nous discutons jusqu’à 2 heures du départ pour Aulnay. Vers 11 heures, l’Adjudant-chef revient nous apprendre ce que nous craignons. LIZÉ est mort en arrivant à l’hôpital. Nous étions un peu abattus.

Après être restés 2 fois en panne, nous rejoignons à toute vitesse et repérons nos cantonnements dans Aulnay, où nous sommes très bien installés.

Mercredi 18 avril 1945 : Réveil très tard, puis nous bricolons. Le soir à 6 heures, BILA et moi, nous nous sauvons avec une V8 Matford qu’un civil nous a prêtée. Je suis au volant, car BILA ne conduit pas très bien ces V.L. Nous essayons d’aller à Buzançais. Au bout de 20 kms, à 90  à l’heure, un pneu avant éclate. Après 200m. d’embardée, je peux enfin m’arrêter. Nous mettons la roue de secours et jugeons plus prudent de rentrer, car les pneus ne tiendraient pas 400 kms.

Jeudi 19 avril 1945 ; Toute la matinée, nettoyage à fond de toutes les armes. L’après-midi, nous allons au bain dans une rivière avec 2 voitures du Peloton. Nous passons un après-midi très agréable à faire les fous dans l’eau, puis à se jeter en l’air dans une couverture sur le gazon.

Samedi 21 avril 1945 : Journée fatigante, car nous nous entrainons à défiler et entre temps, changeons les roues de la V8, pour repartir le soir. A 6 heures ½, je prends la voiture et prend les 4 copains à un carrefour au sortir du village. Cette fois, nous sommes cinq, toutes les précautions sont prises. Il y a tous les outils nécessaires et même un mécanicien parmi nous. Au bout de 30 kms, une crevaison. Nous changeons de roue en 2 minutes exactement, puis toujours en roulant, les 3 autres derrière, réparent la roue. Après Poitiers, nous perdons beaucoup de temps, car il y a un pont coupé. Bref, un peu énervés, nous arrivons à 10 heures ½ à Buzançais. Chacun va chercher sa petite amie.

Puis après avoir refait les pleins, et tout vérifié, nous repartons à 2 heures ¼ avec beaucoup de difficultés, car les effusions sont désespérées. Cette fois, j’ai étudié la carte et nous passons par Châtellerault. Je préfère dire que je fonce, car nous devons être rassemblés à 5 heures ½ du matin pour aller défiler. Pendant 1 heure,  je fais du 100 Les autres derrière avouent qu’ils ne sont pas tranquilles, car les phares ne sont pas formidables. Par 2 fois, j’évite l’accident par un complet tête à queue. Pour comble, il y a du brouillard pendant les 20 derniers kms. Je fonce quand même, car c’est une course contre la montre.

Enfin, à 5 heures, nous rentrons dans Aulnay. Comme les copains se préparent pour le rassemblement, SCHUMANN qui se faisait un mauvais sang du diable, se préparait à avouer au Lieutenant notre fugue, et que nous n’étions pas encore là. C’était tout de même risqué.

Nous partons à 6 heures en camion. Il fait froid, mes yeux se ferment. Nous allons défiler à Arvert, à côté de La Tremblade. C’est de GAULLE qui vient nous voir. Il y a quelques Régiments de la D.B. et toute l’armée à de LARMINAT. Retour compris, tout fini à 6 heures de l’après-midi. Depuis la veille à 14 heures, je n’ai rien mangé et pas fermé l’œil. Après un copieux souper, je suis tout de même au bal où je reste jusqu’à 1 heure du matin, car j’étais très sympathique à une brune aux yeux immenses.

Lundi 23 avril 1945 : Rien à faire. BILA et moi rechangeons les roues de la V8. Nous nous tenons à carreau, car l’Officier des Éclaireurs s’est aperçut du vol d’essence.

Dimanche 22 avril au Jeudi 26 avril 1945 : Vie calme. Le Capitaine est parti aussi, nous pourrons descendre au village à n’importe quelle heure. Nous passons nos journées au ping-pong ou au billard. Le soir, nous dansons.

Aujourd’hui, nous partons, alors grands préparatifs. Nous démarrons à 5 heures ½ de la place du village, où tous les civils sont rassemblés. Nous nous acheminons à petite allure et nous arrêtons 1 km avant Cognac vers 7 heures. Le Lieutenant m’envoie en jeep à la gare pour partager tout le ravitaillement du détachement qui est là, en vrac, sur le quai.

Pendant 1 heure, je rage parmi boites, caisses et bidons. Enfin, tous les tas sont prêts. Le détachement arrive, c’est le grand branle-bas. Partage du ravitaillement de la NAAFI. Les pleins d’essence. Puis, tout se calme. Nous n’embarquons qu’à 1 heure du matin. Je me barre au cinéma avec BAYONNAS, les autres s’installent tous au café. A 24 heures, nous cassons la croute, nous aussi au café.

Puis à1 heure, l’embarquement commence. Ça se passe vite, quoique qu’un wagon déraille, sous le poids d’un gros camion. Puis, nous discutons sur le quai avec le Lieutenant autour d’un feu qui chauffe un thé au lait, qui s’avère excellent. Bientôt l’aurore arrive.

Nous démarrons. La journée passe très vite. Nous avons beaucoup de paille et des caisses comme sièges. Nous sommes le 27/4/45. Vers 6 heures, nous prenons la garde. Nous avons passé Châtellerault, où quelques-uns sont allés faire un tour en ville pour acheter du pain et autres bricoles. Je suis de garde avec SCHWALM, AIUTI, GIANNI, ANDREWS et 3 indigènes. Nous avons un compartiment de 3ème comme poste de garde. Nous sommes au poil. Nous avons l’électricité. On joue aux cartes, puis chacun prend une banquette, un filet ou le sol. A 2 heures du matin, à Morange je crois, on a des sandwiches et un bouillon chaud. La garde consiste à surveiller le train aux arrêts.

Samedi 28 avril 1945 : Journée très tranquille. Nous jouons aux cartes. A 6 heures, 1 Peloton du 3ème Escadron nous relève et nous rejoignons les copains. Nous nous amusons comme des fous. Le paysage est splendide. Nous rentrons en Alsace. Saverne et enfin Brumath. Terminus. Il est 11 heures du soir, nous débarquons Il pleut un peu il fait très froid. Nous allons nous installer dans un pré, il faut monter la guitoune. Le Margis et moi la montons sur le capot, si curieux que cela peut paraître, car celui-ci est encore chaud. La nuit se passe bien.

Dimanche 29 avril 1945 : Nous nous réveillons très tard, puis grande toilette. Je pars à Strasbourg avec le camion chercher le pain et l’essence. Après déjeuner, BAYO et moi demandons au Lieutenant de nous  laisser aller à Furdenheim. Après une longue discussion, il reste inflexible, quoi qu’il le regrette gentiment et riant. Je le menace de tout ce que je peux, puis BAYO et moi allons nous coucher la rage au cœur. Je reproche à BAYO d’avoir demandé la permission, je voulais me sauver. Nous partons demain très tôt.

Lundi 30 avril 1945 : Réveil à coups de sifflet à 4 heures 30, puis c’est le grand branle-bas. Parmi le fracas des voitures, les cris et les interpellations. Nous plions tout, buvons le chocolat en 4ème vitesse, puis nous démarrons. C’est le Margis qui est au volant. Le Peloton est en tête, Je roupille chaudement emmitouflé, car depuis hier, il fait un froid de loup. Le temps est à la pluie. Il est 5 heures 30 précises.

A 7 heures ½, je me réveille, nous approchons du Rhin que nous atteignons à 8 heures précises. A 100 m. du pont de Kehl démoli, un pont de péniches construit par le Génie de la 1ère Armée, comme nous l’apprend un modeste écriteau de 2m. sur 3m. Malgré la pluie qui nous cingle le visage, nous sommes tous debout dans les voitures admirant le site. Le fleuve fait 100m. de large à cet endroit. Une fois passé, c’est l’Allemagne.

Le pays me parait assez beau, très propre, un peu le genre de l’Angleterre. Nous roulons jusqu’à 7 heures du soir. Les villages ne sont pas trop démolis, mais les villes ont beaucoup souffert par l’aviation. Nous roulons vers Stuttgart. Nous faisons un détour que je ne comprends pas très bien, puis nous arrêtons dans un village près d’Heilbronn. Nous avons rejoint tout le Régiment qui est aux alentours.

Ma voiture tombe dans une maison où les patrons ne se mettent pas beaucoup en mouvement. Nous fouillons et installons une série de matelas dans une pièce, ceci leur fait comprendre et ils sont alors plus lestes. Nous nous lavons tous à l’eau chaude. Je demande du lait très chaud, car je suis mal fichu. Après 3 tasses de lait bouillant et 1 de bouillon, je vais me coucher. Je crois que nous partons sur Munich demain matin. Nous sommes à 18 kms de Hall.

Mardi 1er mai 1945 : Nous partons à 9 heures du matin dans la direction d’Innsbruck. Nous repassons Hall. Je fais des bulles jusqu’à 11 heures. Nous marchons plutôt vite, par moment à 45 miles. Vers 4 heures, j’avais le volant depuis un moment déjà, quand la roue droite mord un peu le fossé. Je redresse trop vivement. Lancés à 40 miles, nous nous retrouvons dans le champ à gauche, freins et moteur bloqué. Moi crispé au volant avec 3 caisses de ravitaillement sur la tête. Il n’y a pas de casse. Un tas d’objets a volé de tous les côtés. Nous remettons tout en ordre et repartons.

Toute la journée, la voiture a mal marché et nous restons souvent en panne. Vers 6 heures, nous arrivons à Thannhausen. Toute la voiture est bien installée, comme tout le monde en général. Les civils sont très très chics comme partout, et nous offrent beaucoup de choses, car dans ces régions, ils ne manquent de rien absolument. Nous sortons avec nos armes individuelles et cela n’est pas pour nous satisfaire, car c‘est assez encombrant à trimballer.

Mercredi 2 mai 1945 : Je me lève très tard. C’est la charmante jeune fille de la maison qui vient me réveiller, bref… Vers 10 heures, je vais voir SCHWALM qui est de garde, puis je vais aux voitures où l’on fait les pleins d’essence. Le Lieutenant qui est mal luné, me fait une sortie, je ne sais plus pourquoi. Je crie aussi et cela dure 5 minutes. Finalement, il me prie de la fermer. Je suis très en rogne. A midi, il réunit tous les gradés pour mettre plusieurs bricoles au point. La journée passe très calme, ainsi que la soirée.

Jeudi 3 mai 1945 : Journée toute aussi monotone. Nous partons demain.

Vendredi 4 mai 1945 :Nous démarrons à 10 heures ½ et fonçons vers l’Est jusque vers 2 heures, puis c’est la lente et fatigante progression de toute la colonne pour passer sur un pont de chemin de fer très long. Vers 6 heures, nous sommes passés et fonçons de nouveau pour arriver vers 8 heures du soir à Ammersee. Il pleut toute la journée.

Ammersee

Vers le lac Ammersee

Tout l’Escadron logeons au collège. Je suis de garde et loge avec tout le poste dans la salle de sport qui est superbe. Nous fouillons partout, naturellement. Je trouve un pick-up, BAYO un poste, d’autres des ballons, etc, etc… Tout le collège est sens dessus-dessous. Le censeur qui parle très bien le français, s’arrache les cheveux un par un.

Samedi 5 mai 1945 : Nous partons demain, il parait. La journée est intéressante. Nous nous installons et préparons un grand repas : saucisson, beurre, épinards, fromage, confiture. Cela se passe à une grande table dans le réfectoire. Le repas est très gai. A la fin, il y a eu une bagarre terrible où tout vole, assiettes et bouteilles. A la fin, le lustre vole aussi en éclat. Puis, c’est magique avec un vrai pianiste et un vrai joueur de jazz. Il y a presque tout l’Escadron qui écoute religieusement tous les swings modernes. Puis c’est un grand match de football dans la salle des sports, où chacun s’occupe uniquement de diriger la balle vers les carreaux ou les lustres, manque de pot, nous ne cassons rien. Après l’appel, certains sortent, d’autres prennent la garde, d’autres vont à la pêche sur le lac. Je reste dans notre classe où la pluie ne cesse pas.

Dimanche 6 mai 1945 : Nous changeons de cantonnement à 10 heures, nous allons chez les civils. Les voitures sont groupées au parc constitué par l’esplanade de l’embarcadère du lac. Dans notre maison, nous sommes très bien tous les 6. Avons un lit chacun. Ils nous font de la bonne nourriture et nous ont lavé tout notre linge.

Lundi 7 mai 1945 : La journée passe tranquillement. Nous jouons du phono. Vers le soir, on nous donne l’électricité, aussi, je mets le poste, et bon nombre de copains viennent passer la soirée avec nous. Nous dégustons un délicieux café. La radio nous annonce à nouveau la situation actuelle et nous râlons de penser que partout on doit s’amuser, et ici, on s’ennuie.

Mardi 8 mai 1945 : J’ai énormément toussé depuis hier, aussi je suis consultant, et vais à la visite à 9 heures ½. On me fait des ventouses, je prends des cachets, et je suis 8 jours exempt de service, d’autant plus heureux qu’il y a défilé de tout les diables. La journée passe tranquillement. Vers le soir, nous écoutons, non sans râler, les fêtes et l’enthousiame délirant dans toutes les villes de l’Europe.

A 3 heures ½, on nous procure un feu d’artifice assez miteux au dessus du lac. Dans tous les coins, on entend des coups de feu et des pétards. Je ne tire pas, je ne suis pas exubérant, rêvant aux étoiles et indifférent à tous ces bruits. Je pense à ceux qui sont tombés, et particulièrement à mon cousin et à mon Lieutenant. Pourquoi faut-il qu’il y ait des familles déchirées en ce beau jour où tout le monde est en fête ?

Mercredi 9 mai 1945 : Je suis exempt de service et je passe la journée à écrire en musique.

Jeudi 10 mai 1945 : Presque tous les copains sont partis en promenade à Berchtesgaden. Il y a repos, car c’est l’Ascension. Encore une journée tranquille. Il y a promenade sur le lac avec la vedette.

Vendredi 11 mai 1945 : travail  sérieux pour nettoyer les véhicules à fond.

Samedi 12 mai 1945 : Le travail continue, puis il y a revue à 4 heures par le Capitaine. SCHWALM est de garde, je présente donc la voiture. C’est bien pour le Peloton. C’est étonnant. Partout ailleurs, c’est mal. Il nous voit d’un bon œil ces jours-ci.

Je suis de garde à 6 heures au P.C. A 6 heures, présentation au bureau. Les types s’attirent pas mal d’observations. J’ai pris mes précautions, je suis impeccable. Nous partons au P.C. du Colon. Relève réglementaire. Je prends mes consignes. A 7 heures, nous baissons les Couleurs, puis je vais souper tranquillement. Jusqu’à 11 heures du soir, j’écoute les musiciens qui répètent pour monter un orchestre au Régiment. Nuit assez bonne. les types se relèvent d’eux-mêmes.

Dimanche 13 mai 1945 : Couleurs à 7 heures. Je discute avec un copain toute la matinée tout en faisant travailler les 3 prisonniers, Puis, je vais manger tranquillement, après avoir été secoué par un Lieutenant.  Soit disant que je n’avais pas à avoir de l’initiative, ni des observations à faire en certains cas. La journée se termine tranquillement, nous sommes relevés à 5 heures ½. La soirée se passe à faire de la musique, surtout du piano.

Lundi 14 mai 1945 : Appel, puis je vais à l’atelier avec BAYO, car son démarreur est bousillé. Nous avons revue d’armes à 11 heures ½. Il est 10 heures, j’écris avec SCHUMANN aux doux accords d’un slow. Brusquement, on nous appelle pour une promenade en barque, le Peloton seulement. Nous nous précipitons.

Le Lieutenant conduit, nous évoluons à toute vitesse pendant un quart d’heure dans toutes les directions, puis le Lieutenant me passe le gouvernail pendant 5 minutes pour aller discuter avec le Sous-lieut. ROSIER à l’avant. J’en profite pour m’amuser un peu, notamment à revenir sur nos traces, ce qui produit des remous et de douces ondulations à la vedette. Nous revenons assez satisfaits.

A 4 heures, il y a appel, puis nous allons nous baigner. L’eau est gelée, aussi nous n’y restons guère et discutons au soleil sur les passerelles jusqu’à 6 heures. La soirée est délicieuse. Il y a de l’élément féminin.

Mardi 15 mai 1945 : Je suis de jour au Peloton. Il y a un peu de travail dans la matinée. A 4 heures, nous allons au bain, l’eau est bonne. Nous jouons comme des fous avec un ballon. Après souper, nous allons jouer au football. Il est 10 heures, je viens de prendre une douche à l’eau chaude. Je suis un peu las, mais content de ma journée.

Mercredi 16 mai 1945 : Nous ne faisons rien. A 11 heures, le Lieutenant vient nous parler. BAYO passe Brig. chef, mais est muté au P.C. du Capitaine, au bureau. Aussi, il est en rogne et moi aussi. Je m’attendais à ce qu’il passe seul, car il a plus de 8 mois de grade, alors que je n’en ai que 5, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il soit muté au P.C. SCHWALM va passer Chef certainement. Je suis un peu morose. Le Lieutenant ne m’a pas dit qu’il avait essayé de me proposer, mais il ne m’a pas dit qu’il ne l’avait pas fait, tandis qu’à SCHWALM, oui, c’est très facile à déduire. Bain de 4 à 6, puis foot après souper.

Jeudi 17 mai 1945 : Sport de 8 à 9 heures ½. Sous ma direction, je fais une leçon complète, puis des jeux très comiques. Entre parenthèse, 3 types les yeux bandés avec des gants de boxe. Les autres forment le cercle. Le Lieutenant joue avec nous. Après mon bref bain, 10 minutes de classe à pieds sans armes, puis repos. A 4 heures, appel. Bain. Après souper, match de foot contre le 3ème, nous perdons 2 à 1, bêtement, mais ils sont tout de même meilleurs que nous.

Vendredi 18 mai 1945 : Sport. Nous rions encore plus, car nous jetons des types en l’air pour les recueillir dans une couverture. Le Lieutenant vole 3 fois. Bain rapide. Classe à pieds de 10 à 11 heures, sans armes. Sieste, puis bain.

Samedi 19 mai 1945 : Le Peloton part à 4 heures du matin défiler avec les voitures. Chef de voiture, conducteurs et indigènes. Je passe une de mes plus délicieuses journées militaires avec GIANNI et  MAHISTRE à faire de la musique, jouer à tout et à rien, et à boire nombre de thés et de cafés. Nous mangeons de bonne heure et excellent appétit avec AIUTI,et SCHUMANN qui sont de garde, et BAYO.

Dimanche 20 mai 1945 : Nous allons presque tous à la messe, car c’est la Pentecôte. Sieste, puis bain. Le soir, musique très tard.

Lundi 21 mai 1945 : Repos toute la journée. Je suis mal fichu, indigestion et diarrhée. Le soir, nous avons cinéma.

Mardi 22 mai 1945 : Journée monotone. Il pleut. Nous amenons la voiture sous le garage de la villa pour refaire quelques peintures. Tout à notre aise. Nous nous sommes aperçus que la voiture avait une lame ressort de cassée depuis mon vol plané dans le champ. L’atelier n’en a pas pour le moment, aussi, il va falloir faire cette formidable étape comme ça. Gare au pépin.

Mercredi 23 mai 1945 : Il pleut toujours, aussi, repos forcé. Le matin, je vais à la Compagnie Médicale voir le dentiste, car j’ai mal à une gencive. En revenant, je discute avec l’Anglais conducteur de l’ambulance et je prends rendez-vous pour 4 heures de l’après-midi, où je passe un charmant moment à discuter et perfectionner mon Anglais.

Jeudi 24 mai 1945 : Nous partons demain, aussi nous faisons nos préparatifs.

Vendredi 25 mai 1945 : Nous démarrons à 3 heures. Les adieux sont assez sympathiques, malgré que SCHWALM et AIUTI aient emporté pas mal de choses. Nous roulons assez vite, le temps est couvert, et nous arrêtons dans un petit village à 3 heures de l’après-midi. Le soir, je suis de garde au parc à véhicules, aussi je dors au poste qui est une grange en l’occurrence. Je dors très bien d’ailleurs.

Samedi 26 mai 1945 : Nous démarrons à 8 heures et fonçons toute la journée. L’essence est sale, aussi nous restons en panne 5 ou 6 fois. A part ça, nous fonçons, car par moments, nous roulons sur l’autostrade, aussi une fois, j’atteins le 100 à l’heure, alors que l’auto ne l’a jamais fait. Je croyais que tout s’envolait dedans.

 

pont vers la France

Passage du Rhin à Kehl

Nous stoppons dans un patelin après Rastatt à 6 heures du soir. Nous nous reposons pour repartir à 11 heures du soir. Après un rapide souper et un bon café, un peu reposé, nous démarrons. Je garde le volant toute la nuit, car  AIUTI a sommeil. Nous passons le Rhin à Kehl à 2 heures du matin, traversons Strasbourg, et prenons la route de Sélestat. Nous nous arrêtons à Fegersheim à 3 heures ½ du matin. Nous dormons tous dans une vaste grange.

Dimanche 27 mai 1945 : Chaque Peloton prend ses cantonnements. Nous ne sommes pas mal. Les Alsaciens cuisinent merveilleusement bien. Nous nous en apercevons à nouveau avec délices. L’après-midi, il y a des permissions pour toute la contrée. Aussi BAYO, le Chef et moi allons à Furdenheim par l’intermédiaire de la civile qui nous emmène et nous ramène avec sa voiture.

Lundi 28 mai 1945 : Je vais en perm à Strasbourg avec BAYO. Journée tranquille.

Mardi 29 mai 1945 : Journée aussi calme, le soir je vais au bal.

Mercredi 30 mai 1945 : Nous partons, le Peloton seulement, à 5 heures et arrivons à la gare de Strasbourg. Vers 6 heures, un détachement du Génie nous rejoint bientôt. Nous embarquons bientôt. Comme nous avons les remorques des Obusiers, cela nous gêne un peu. Nous installons l’électricité dans notre fourgon par une de mes combines, pendant que le reste va faucher toutes les banquettes qu’il peut.

Nous démarrons à 10 heures du soir, confortablement installés. Voyage sans histoire. Nous plaisantons et jouons beaucoup entre nous. Nous débarquons avec pas mal de difficultés à cause des remorques, vers 9 heures à Melun. A petite vitesse, nous pénétrons à Nemours à la nuit tombante. Nos cantonnements ne sont pas mal. J’ai une belle chambre pour moi seul.

Jeudi 31 mai 1945 : Presque tous les Européens partent monter la garde dans les banques et les postes, car c’est l’échange des billets. Je reste seul pour m’occuper du Peloton, car SCHUMANN part aussi.

Vendredi 1er Juin 1945 : J’ai pas mal de travail. La journée passe assez monotone. Il n’y a rien d’extraordinaire en ville.

Samedi 2 juin 1945 : Je bricole avec l’électricité et les postes de T.S.F. La vieille dame chez qui je loge, me gâte beaucoup.

Dimanche 3 juin 1945 : Je suis de jour à l’Escadron. Le matin, je vais à la messe de 7 heures, puis galope toute la matinée. L’après-midi, je dors, puis vais souper avec JEANNOT chez des civils qui nous ont invités. J’ai un peu peur qu’on ait besoin de moi, mais tant pis.

Lundi 3 Juin 1945 : Je me réveille à 7 heures ½ et fonce au bureau où je me fais jeter d’importance par le Margis de jour, l’Adjudant, et ensuite l’Officier de jour. Hier après-midi, on ne m’a pas trouvé et ce matin, j’arrive en retard par dessus le marché, car l’appel est à 7 heures. Je me défends comme je peux et fonce. Toujours le cahier de visite, les tolards et les couvertures pour la garde. Bref, à 8 heures 5, tout est à peu près arrangé, et je passe les consignes à mon suivant. Je vais enfin déguster mon café tranquillement. J’ai beaucoup de travail au Peloton. Le soir à 8 heures, tous les détachés reviennent assez contents de leur petit voyage.

Mardi 4 juin au Lundi 18 juin 1945 : Par un oubli discutable, j’ai négligé mon journal jusqu’à aujourd’hui. Les journées se ressemblent toutes. Nous n’avons pas beaucoup de travail. Presque tous les après-midi, nous allons nous baigner dans le Loing.

Un matin, le 10 je crois, nous avons une belle prise d’armes à pied à Fontainebleau. Tout le G.T.L. y est, car le Général de LANGLADE nous fait ses adieux. Le carré est formé sur un vaste terrain. Il y a un micro. Après nous avoir passé en revue, le Général fait un magnifique discours où il nous fait ses adieux. C’est un joli défilé. Quelques jours après, 4 Pelotons du Régiment allons à Fontainebleau, car LECLERC décore un Général américain.

Aujourd’hui, je reviens d’avoir passé 4 jours à Paris. Ce matin, j’ai assisté au défilé de la Victoire, où une bonne partie de la D.B. est passée, pendant un quart d’heure, sous des acclamations répétées.

Mercredi 19 juin 1945 : Journée tranquille. Je dors presque tout le temps. L’après-midi, nous allons au bain.

Mercredi 20 juin 1945 : Ce matin à l’appel, on a lu ma Citation. Je ne m’y attendais pas. Justement, j’étais seul comme gradé, donc en avant du Peloton. Je ne savais plus où me mettre. Ma Citation est assez belle, je crois à l’Ordre de la Division. Quelque chose comme : «  ANTONI René. Brigadier calme et courageux. Au cours des combats à pied du 17/04/1945, sur l’axe Saujon-La Tremblade, a fait preuve d’audace et d’esprit d’initiative en s’emparant avec son camarade de plusieurs blockhaus ennemis ».

Jeudi 21 juin 1945 : Je suis de garde au Colonel. Il faut faire les relèves réglementaires,à la guérite et au mat des Couleurs. Ce qui ne me laisse presque pas de répit.

Vendredi 22 juin 1945 : Adieux de LECLERC. Tout l’Escadron défile. Nous partons à 7 heures en camion. Il y a tout le Régiment. Nous arrivons bientôt à l’emplacement. Tout est bien organisé. Nous trouvons de suite notre place. Les camions s’en vont au parc. Il y a toute la Division.

C’est une manifestation monstre. L’emplacement est très vaste et parsemé de haut-parleurs. Ça me permet de voit FIFI et de discuter avec lui pendant une demie heure. A 10 heures, le Général arrive. Revue de tous les Régiments, puis décorations de tous les Étendards. Chaque Régiment est cité. Le Tchad a la Croix de la Libération., puis quelques officiers sont décorés de la Légion d’honneur. C’est alors l’allocution du Général, brève, sans emphase, mais précise et profonde. Puis, c’est le défilé que nous terminons en nage après 3 heures au soleil. L’après-midi, nous avons quartier libre.

Samedi 23 juin 1945 : Rien d’anormal. Le soir, je danse toute la nuit et me couche claqué.

Dimanche 24 juin 1945 : Appel à 9 heures. Messe. Après déjeuner, sieste de 1 heure à 7, puis souper au restaurant, et de nouveau bal jusqu’à 4 heures du matin. Je me couche encore plus claqué.

Lundi 25 juin 1945 :Péniblement réveillé, je suis à l’appel avec la ferme intention de me recoucher après, quand nous apprenons à 7 heures 10, que les élèves Officiers partent à 7 heures ½ pour le 1er Escadron, à 7 heures ½ avec leur paquetage. En bolide, nous préparons nos affaires et partons en Dodge.

Vers 8 heures, nous arrivons au 1er à 6 kms de là. Nous sommes installés dans une belle villa, très confortable. Un inconvénient, découvrons qu'il n’y a pas l’eau courante. Le moteur est cassé. Nous avons une grange dans la cour. Durant la matinée, nous nous installons, Nous sommes 25, en tout une douzaine dans 1 villa, 1 douzaine dans une autre. A midi, nous allons à la soupe qui est meilleure qu’à notre Escadron. Pour le moment, nous mangeons sur l’herbe au bord du Loing, puis sieste. A 2 heures ½, présentation au Lieutenant. Il nous parle du cours sur toutes ses couleurs. Ce ne sera pas dur, je crois. Puis, présentation individuelle. Il me parle de de MASCLARY qu’il connaissait très bien. Après cela jusqu’à 6 heures de l’appel, nous travaillons dur pour nettoyer, emménager et installer notre maison. Appel avec baisser des Couleurs. Tout l’Escadron y est, Capitaine compris. Après souper, nous écrivons ou lisons. Nous n’avons pas encore amené nos postes. Dimanche matin, nous retournons à l’Escadron pour présenter la revue de détail que tout le Régiment passe le même jour.

Mardi 26 juin 1945 : Le camion nous emmène à 7 heures 30. Nous bricolons, car la revue n’a lieu qu’après déjeuner. A 2 heures, le Capt. du 4ème Escadron la passe. Tous les hommes de l’Escadron ont aligné leur paquetage sur leur toile de tente.

A 4 heures, tout est terminé. Après la soupe, nous repartons avec un Dodge et nous, et nous nous installons tout à notre aise. Je place mon poste, SCHUMANN le sien, et en avant la vie est belle. J’écris très tard dans la soirée.

Mercredi 27 juin 1945 : Réveil 6 heures ½. Sport (1/2 h), toilette, jus. 8 heures ½ à 11 heures ½, service en campagne. Ce matin, nous avons fait le poste, se poster, cheminer, etc, etc…L’après-midi, théorie sur l’autorité et la discipline.

Jeudi 28 juin 1945 : Toujours le poste. Le Lieut. m’interroge et me commande de placer un poste avec 2 chars. Moi qui n’ai pas fait la guerre dans les chars, je m’en tire tant bien que mal. Ce soir, théorie sur armement.

Vendredi 29 juin 1945 : La patrouille. Exercice pratique. Le Lieut. me fait placer un plastron devant un port. Je m’en tire bien. Le soir, théorie et pratique sur la carabine.

Samedi 30 juin 1945 : Je dirige le sport et me fais insulter aux mouvements de tapis. Dans la matinée, nous récapitulons le travail de la semaine, puis à 1 heure, je pars pour Paris.

Lundi 2 juillet 1945 : Nous arrivons à 10 heures au cantonnement. Après s’être changé,  nous rejoignons le reste. Il y a interrogation. L’après-midi, théorie auto, topographie.

Mardi 3 juillet 1945 : Pratique de la topo, marche avec la boussole. L’après-midi, douche, puis théorie sur la mitraillette.

Mercredi 4 juillet 1945 : Toujours marche avec boussole et théorie diverses.

Vendredi 6 juillet 1945 : Théorie toute la journée, car ce soir, nous avons manœuvre de nuit. Le matin, personne n’étant fatigué au sport, nous commençons à être entrainés. Il est vrai que lorsque je fais la leçon, cela m’arrive très souvent, je n’exagère pas. Jusqu’à 11 heures du soir, nous préparons un casse-croute, omelette à la poudre d’œuf.

A 11 heures ½, nous partons en camion. Nous sommes 21, 2 S/officiers et le Lieut. Mon groupe est plastron. Nous avons 2 mitrailleuses. Nous chantons et nous insultons à qui mieux mieux dans le camion. 20 minutes après, nous déposons le 1er groupe qui constitue la patrouille, puis un peu plus loin, c’est le terminus. Nous camouflons le camion et nous plaçons nous-même. C’est un carrefour qu’il faut défendre. Je suis en vedette avec BAYO, bien tapis dans l’herbe et devant un bosquet. Il est impossible de nous voir. Plus loin, les autres s’installent aussi. Et bientôt, c’est le silence et l’attente énervante. Je sens que je m’endors. Un éternuement me réveille.

Nous écoutons. BAYO va rendre compte, mais plus rien. Je me rendors encore. Tout d’un coup d’instint, Je me réveille, scrute bien la route. Un type avance accroupi. BAYO me fait du coude au même moment. Nous ne bronchons pas. Le type avance, bientôt il rampe, il n’est plus qu’à 6 mètres de nous. J’attends qu’il approche pour bondir. Mais ce crétin de BAYO l’allume de sa lampe, ce qui signifie un coup de feu.

L’autre devait être crispé. Il gueule ou bégaye : « Halte, feu »,  se planque, puis bientôt cavale à toute allure pour avertir ses copains. BAYO et moi nous rions pendant une demi-heure de la frousse qu’il a eu. Puis nous nous bagarrons. Je trouve qu’il a eu tort et que nous aurions pu le faire prisonnier. Nous attendons encore ½ heure, puis le Lieut. impatient donne le signal de la fin et dit au Margis d’allumer les phares du camion dirigés en plein vers les champs où doivent venir nos ennemis.

Au coup d’éclairage, nous pouvons admirer 10 magnifiques plongeons. Naturellement, ils ne s’y attendaient. Nous gueulons alors : « Rassemblement ». Puis c’est la longue critique pour le Lieut. et le retour à 2 heures ½ du matin, un peu endormis. En rentrant, grand casse-croute, le poste joue, nous dévorons l’omelette, le fromage et nombre de pêches et abricots. Demain, je suis de jour et nous n’avons rien à faire.

Samedi 7 juillet 1945 : Je me réveille à 9 heures ¼ et fonce porter le cahier d’appel, puis, comme tout le monde, dors du sommeil du juste, je vais au jus, je sers, mets le poste en route et gueule au jus. C’est une ruée dans la salle à manger et aussi sur le pain frais et le beurre, puis chacun vaque à ses affaires : grande toilette, repassage, etc…Puis après la soupe, je pars avec 3 copains en stop pour Paris.

Lundi 9 juillet 1945 : Bien rentré la veille à 9 heures. Interrogation jusqu’à midi. Le Chef interroge sur un tas de trucs. Je me débrouille assez bien. L’après-midi, théorie comme d’habitude. A 7 heures, je vais à Nemours en vélo faire des courses.

Mardi 10 juillet 1945 : Le matin, il pleut, pas de sport..Longue théorie sur le combat en char, puis visite détaillée d’un char au parc à voitures. L’après-midi, encore théorie sur le combat en char, puis sur l’auto.

Mercredi 11 juillet 1945 : Ce matin, sortie très intéressante. Nous sortons avec un char pour étudier la progression en char. Durant 1 heure, je fais chef de char et le fais progresser sur un chemin. Je dois défendre mes bonds et choisir mes emplacements à chaque arrêt. Naturellement, n’ayant jamais fait ça, j’ai fait pas mal de gaffes. L’après-midi, théorie sur la police routière. Bain délicieux, puis théorie sur la mitrailleuse.

Jeudi 12 juillet 1945 : Le matin, nous sortons avec 2 camions simulant 2 chars et à peu près même travail qu’hier. L’après-midi, théorie et bains.

Vendredi 13 juillet 1945 : Je suis consultant, j’ai un bouton. Je ne reviens qu’avec l’ambulance de 11 heures. L’après-midi, théorie avec lancement pratique de grenades, puis théorie auto. Le soir après l’appel, je me sauve à Paris en stop pour n’en revenir que le dimanche soir.

Lundi 16 juillet 1945 : Interrogation toute la matinée, puis théorie et bain toujours délicieux.

Mardi 17 juillet 1945 : Sortie en camions faisant offices de chars. L’après-midi, douche et théorie.

Mercredi 18 juillet 1945 : Le matin, sortie avec 2 vrais. anti-chars. Nous patrouillons beaucoup. La manœuvre. L’après-midi, je fais une théorie sur l’Half-track avec le véhicule présent. Je m’en tire bien. Puis bain et encore théorie sur l’armement.

Jeudi 13 juillet 1945 : Sortie intéressante avec chars, le matin. L’après-midi, théorie.

Vendredi 20 juillet  1945 : Le matin, sortie en chars. Je fais fonction de tireur dans le char de tête. Un autre char doit nous tirer dessus à blanc. La manœuvre est palpitante. Rivé à ma lunette, le bout de mon canon suit tous les coins suspects. Tout d’un coup, je vois l’ennemi en même temps que le chef de char. Nous gueulons toux deux : « En arrière, vite », mais le conducteur met du temps à passer sa vitesse, et vlan, la lueur jaillit. Nous aurions certainement été touchés. L’après-midi, nous allons au tir à la carabine à 150 ,m. Je suis le 1er du Peloton, ex-aequo avec le Lieutenant. Mais au pétard, je ne suis que le 6ème sur 20.

Samedi 21 juillet 1945 : Théorie radio et mitrailleuse, puis préparatifs et départ en permission pour Paris.

Lundi 23 juillet 1945 : L’après-midi, théorie sur les chars. radio et bain.

Mardi 24 juillet 1945 : Le matin, étude de l’action retardatrice du groupe de chars. J’ai fait tireur C’était très intéressant. L’après-midi, théorie sur GMC, bain, puis théorie sur les moteurs diesel.

Mercredi 25 juillet 1945 : Sortie en camion. Grosse stratégie de l’attaque déployée. Théorie sur les gaz, puis sur les chars.

Jeudi 26 juillet 1945 : Sortie pour toute la journée. Départ à 8 heures ½, comme d’habitude. Révision pratique de toute la bagarre en char, puis bain dans le Loing, repas frugal, sieste. A 2 heures, je fais une théorie sur le rocket-gun, puis bain et sport. Rentrés à 6 heures, mais nous avons fait 70 kms en camion toute la journée.

Vendredi 27 juillet 1945 : Journée habituelle. Le matin, étude de différents tirs avec un char. L’après-midi, tir. Je tire au Rocket-gun, ainsi que SCHUMANN. Tous les élèves Brigadiers du Régiment et le Commandant assistent à la démonstration. Après, tir à la carabine. Je suis toujours 1er avec 35, le 2ème a 33. Avec révolver, cette fois, je suis 1er avec 12. Au classement, le Lieut. me classe meilleur tireur du Peloton.

Samedi 28 Juillet 1945 : Théorie, puis départ en perm.

Lundi 30 juillet 1945 : Nous n’arrivons qu’à 11 heures. L’après-midi, théorie, puis bain.

Mardi 31 juillet 1945 : Le sport change à partir d’aujourd’hui. Nous allons sur le stade pour préparer l’examen sportif. Il faut faire : 100 m.en 12 secondes, 800 m. en 2 mn 40 S, 5 m. en longueur, 16 m. des 2 bras au poids et 50 m. de nage en 40 secondes. Je fais à peu près tout dans les temps voulus. Il faudra que je fonce pour la natation. L’après-midi, le canon 75.

Mercredi 1er août 1945 : Sport toute la matinée et révision. l’après-midi. Ce même jour, il y a une prise d’armes. Le général américain HAISLIP décore toute la Division de la « Presidential  Unit Citation » et la cite à l’Ordre de la nation américaine pour les combats de Saverne et Strasbourg. Nous jubilons tous et sommes très fiers d’avoir cette décoration de marque.

 PRESIDENTIAL

 

 PS : Nous avons complété le texte de ce journal en insérant photos et extraits des Journaux de Marches et d'Opérations du 12ème R.C.A.

 

 Le Peloton Mortiers fait partie de l’Escadron-Hors-Rang ( E.H.R.) du Régiment. Il est sous les ordres du Capitaine Michel STARCK jusqu’au 1er janvier 1945, puis du Capitaine Paul LEGRIS . Il se déplace en général avec le P.C. et la colonne des véhicules de l’E.H.R et les appuie.

 

 Reconstitution de l'organigramme du Peloton Mortiers compte ternu des éléments apportés par ce Journal :

 

Half-track

Le Half-track

Marquage sur les Half-tracks du Peloton Mortiers :

Marquage EHR

Commandement :

1er avril 1944 au 11 septembre 1944 : Sous-lieutenant Jean BAILLOUD de MASCLARY,    .

20 septembre 1944 au  24 septembre 1944 : Lieutenant Alain de COURSON de la VILLENEUVE,

25 septembre 1944 jusqu'à la fin des hostilités :Aspirant André NOBLE, puis promu Sous-lieutenant le 29/ 01/1945

l’Adjudant Eugène BEVILACQUA, temporairement, du 25/02/1945 au retour du Sous-Lieutenant NOBLE. le 28/03/1945.

Composition du Peloton :

Adjoint :  MDL- Chef CAPARROS François,

Maréchaux des Logis : HUGUET  André, nommé MDL/Chef le 7/10/1944  -  COURIOLLES,  muté au B2 le 7/10/1944  -  SCHWALM Max       

Peloton de 4 Half-tracks : « LA SEINE » « LA  LOIRE » « LA GARONNE »  « LE RHIN ».: 1 MDL par véhicule.

Voiture de Commandement du Chef de Peloton : Half-track  « LE RHIN »  avec mortier

Chef de véhicule : Brigadier-chef PLANCHAT André, Chef de véhicule.:

Conducteur :  X

Radio :  X, puis GIANNI Max  muté radio le 4 août 1944, puis MARTIN radio le 11 :09 :1944

+ 1 nouveau arrivé le 28/10/1944  MARSENE 

+  "indigènes"

----------

1ère  Voiture : Half-track « la Garonne »  avec mortier et mitrailleuse : MDL  ........

Chef de véhicule :  JACQUETY Henry Brigadier, puis Brigadier-chef, puis MDL le 2/02/1945.

Conducteur : SCHUMANN conducteur. Nommé 1ère Classe le 7/10/1944, puis Brigadier le 2/02/1945

Radio : GIANNI Marc, ( et servant la mitrailleuse),remplacé par FORENZI le 4 août 1944.

Pointeur mortier : BAYONNAS devient pointeur le 5/10/1944

.

----------

2ème  Voiture  Half-track « LA  SEINE », avec mortier et mitrailleuse de 30, puis de 50 : MDL  COURIOLLES

 Chef de véhicule : Brigadier-chef  DOUCHTÉ,

Conducteur : ANTONI René. Passe à la 3ème voiture le 5/10/1944,

Radio : MARTIN, (servant aussi la mitrailleuse), puis passe radio voiture 1.

BILA nommé Brigadier le 10/12/1944

----------

3ème Voiture :  Half-track  « LA LOIRE » avec mortier et mitrailleuse :  MDL SCHWALM

Chef de voiture : Brigadier-chef, puis MDL le 7/10/1944 LIZÉ Lucien, Puis ANTONI  René, Brigadier, puis Brigadier/Chef

Conducteur : BAYONNAS (dit BAYO),  Passe à la 2ème voiture le  5/10/1944, nommé Brigadier le 7/10/1944, nommé Brigadier-chef le 16/05/45 et passe au PC du Capitaine. Puis ANTONI le 5/10/1944, qui est nommé Brigadier le 10/12/1944, puis Brigadier/chef le 16/05/1945, puis devient Chef de voiture.

Radio: BOURRETTE Guy, 1ère Classe, ( servant la mitrailleuse )

Pointeur : ANDREWS André pointeur.

BILA Pierre

AUITI

Plus "indigènes" : ZEMMA

 

+  nouveaux arrivés le 28/10/1944, dont nous ignorons le véhicule dans lequel ils étaient : STRINGA   BALLANT , Jean MAHISTRE

de même pour "les indigènes" ;  Abderrahman DEDDOUCHE , ABLES, BALLOUL, OZEDOUCHE, REDACHE, KHELLIL

Armement :

Collectif : 3 mortiers - 3 Mitrailleuses de 30 US et 3 mitrailleuses de 50 US

Individuel : Mitraillettes anglaises avec 14 chargeurs de 30 cartouches pour les conducteurs, puis carabine. Fusils pour les autres membres de l’équipage.

Véhicules :

1 Jeep  et  4 Half-tracks avec treuil

Tenue :

Habillement américain

Missions :

appui du P.C. - Liaison entre le PC et les Commandants d’Escadrons pour transmission des ordres.

Commentaires : Les J.M.O.du Régiment évoquent rarement ce Peloton Mortiers.Ce Journal permet d'en tirer les renseignements ci-dessus.

 

Tués et blessés du Peloton Mortiers :

 Tués :

 

 BAILLOUD de MASCLARY Jean S/Lieutenant le 11.09.1944 à Prez-sous-Lafauche (52) par balle de mitrailleuse dans la poitrine.

LIZÉ Lucien Maréchal des Logis le 16.04.1945 à Rétaud (17) par éclats de mines

 

Blessés

 

BAYONNAS         Brigadier le 23/11/1944 à  Saverne (67) blessure au pouce

BOURRETTE Guy Chasseur le 21/12/1944 à Sélestat (67) par éclats d'obus  plaies multiples

CAPARROS François MDL/Chef le 24/09/1944 à Menil-Flin (54) par éclat d'obus au pied

de COURSON de la VILLENEUVE Alain Lieutenant  le 24/09/1944 à Menil-Flin (54) éclat d'obus au pied

DEDDOUCHE Abderahman Chasseur  le 11/11/1944 à Pettonville (54) par balle à la cuisse gauche

GIANNI Marc Chasseur le 11/09/1944 à Prez-sous-Lafauche (52) par balle à la cuisse droit

MARSENE            Chasseur  le 15/09/1944 à Damas (88)

MARTIN                Chasseur le 15/09/1944 à Damas (88)

ROUGETET Pierre Brigadier/Chef le 11/09/1944 à Prez-sous-Lafauche (52) par balle au bras

SCHWALM Max MDL le 21/12/1944 à Sélestat (67) par éclat d'obus à la tête et jambe gauche

 


Citation du Sous-Lieuenant Jean BAILLOUD de MASCLARY :
Croix de guerre - Citation à l'ordre de l'Armée : " Officier de la plus haute valeur. Modèle d'équilibre, de calme et de cran. Commandant le peloton de mortiers régimentaires, a entrainé son peloton au combat à pied le 11 septembre à l'assaut du village de Prez-sous-Lafauche et donné à ses hommes le plus bel exemple d'audace et d'esprit de sacrifice. Tué glorieusement à la tête de ses troupes." - Saint-Cyrien de la promotion Turenne (1941-1943) E.M.I.A. d'Aix-en-Provence (1942) - Tué d'une rafale de mitrailleuse dans la poitrine.

 

Témoignage & Informations

  

 

CAPARROS François

Le Maréchal des Logis-chef François CAPARROS, né à Tlemcen (Algérie) le 15 mars 1916, décédé à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) le 17 février 1996, était  Adjoint au Chef de Peloton du Peloton Mortiers.

Arrivé au 12ème R.C.A. le 10 avril 1943, il fut blessé par éclat d’obus au pied droit, le 23 septembre 1944 entre Vathiménil et Ménil-Flin (Meurthe et Moselle), il fut évacué vers la 2ème Compagnie Médicale BM 13, et hospitalisé. Il ne revint pas au Régiment.

 CAPARROS 5

Collection Etienne CAPARROS

Titulaire de la Croix de Guerre avec 3 citations :!

2021-08-11_095023

Citation 2

 

 

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Pour nous joindre :      auboin.claude@wanadoo.fr

 

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